Théâtre

Un service public en roue libre

Service Public (2023)

Une pièce de Hugo Ferraro

Mise en scène par Alex Weetz

Avec Hugo Ferraro (Cécile) et Jules Tarla (Oscar)

Cie La Roue Libre

Vendredi et samedi à 21h

Du 1er septembre au 25 novembre 2023

A La Folie Théâtre (75011 M° Saint Ambroise)

 

Quel plaisir de relancer la rubrique théâtrale de notre site avec un coup de cœur ! C’est toujours plus agréable de vous parler de spectacles que nous avons aimés, plutôt que d’en étriller. Et on peut dire que cette pièce est un beau présent inattendu. Même si, je dois bien l’avouer : écrire sur la pièce d’Hugo Ferraro n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire. On pourrait même dire qu’il m’a sacrément compliqué la tâche. Pourquoi ? Tout simplement parce que, pour vous garantir de profiter pleinement du spectacle, je dois m’astreindre à en parler le moins possible. Merci du cadeau !

Ah, si ! Ça, je peux vous le dire ! La pièce raconte la soirée d’anniversaire d’Oscar (Jules Tarla). Il est seul, et ne compte visiblement pas célébrer l’événement. C’était sans compter sur l’arrivée de Cécile (Hugo Ferraro), agent de service public, chargé de lui tenir compagnie et, si possible, de lui faire passer une bonne soirée.

S’emparant de l’archétype classique de la comédie (deux personnages qui n’auraient jamais dû se rencontrer), Hugo Ferraro le remanie à sa sauce. Immédiatement, Oscar et Cécile rappellent de nombreux duos de placides et de fantasques, l’Auguste et le clown blanc en tête. Mais il y ajoute de la profondeur, un sous-texte convoquant avec intelligence des thèmes aussi variés que : la solitude (choisie ou imposée), la peur de l’abandon, l’injonction perpétuelle au bonheur, la difficulté de la reconnexion au monde, etc. Mais il est aussi question de fraisier, de pistache et du bon choix de cadeau d’anniversaire.

Car c’est un point essentiel à souligner sur Service Public : la pièce aborde des sujets sérieux avec un sens de l’humour ravageur. Le texte d’Hugo Ferraro enrobe son point de départ délirant par un réel goût de l’absurde. Il le dose avec subtilité. Juste ce qu’il faut pour rendre cette rencontre entre Oscar et Cécile un peu plus folle. Le talent des comédiens fait le reste. Jules Tarla, Hugo Ferraro et leur metteur en scène Alex Weetz se sont rencontrés au Cours Florent. Ils avancent mains dans la main dans leur carrière et cela se sent. Chacun peut développer sa singularité tout en gardant une osmose globale. A aucun moment, l’un ne fait de l’ombre à l’autre. Ils font partie d’un tout. Jules Tarla campe un personnage digne de Droopy, jusque dans sa dégaine, pour le faire évoluer très subtilement au fur et à mesure de la pièce. Le jeu est fin et maitrisé. Hugo Ferraro, quant à lui, nous sert un personnage fantasque, tout dans la corporalité. Il incarne un Cécile « attachiant », envahissant et volcanique (à la limite de l’explosif).

Chaque élément de la mise en scène d’Alex Weetz concoure à instaurer une inquiétante étrangeté chez le spectateur, jusqu’au choix de la musique d’ouverture (magnifique composition de Raymond Lefèvre pour le film Jo). Sur ce dernier point, nous avons notre interprétation mais nous irions à l’encontre de notre engagement de ne rien dévoiler. Toujours est-il, on entre immédiatement en empathie avec Oscar. Comme lui, l’arrivée de Cécile est subie comme une invasion de l’espace. Comme lui, on se dit que quelque chose ne tourne pas rond jusque dans le costume de l’agent du service public. Les surprises s’enchainent alors à un rythme effréné.

Service Public est notre premier coup de cœur de la saison (et de la reprise). Drôle, imaginative, surprenante avec une thématique forte : cette pièce a tous les arguments pour vous faire passer un bon moment. Vous en ressortirez léger, mais aussi avec un fond de réflexion qui vous fera voir le monde un petit peu différemment. La Cie La Roue Libre, et son auteur Hugo Ferraro, sont des talents à suivre et nous ne manquerons pas de les soutenir.

 

Un article de Florian Vallaud

Théâtre

Un théâtre qui créé du lien

Une Femme extraordinaireAffiche-une-femme-extraordinaire.format-web.jpg

Une pièce écrite et mise en scène

par Arthur Vernon

Avec Daniel Hederich et Anna Stern

Du Mardi au Samedi à 21h30

Jusqu’au 27 Janvier 2018

A la Folie Théâtre ( Paris 11)

Déconseillé aux moins de 18 ans

Arthur Vernon est un artiste atypique. A travers ses livres, films et pièces, il traverse la sexualité de ses contemporains. Il la questionne et présente ses analyses dans des œuvres qui ne laissent jamais indifférent. On se souvient des remous médiatiques provoqués par l’interdiction d’une affiche d’un de ses spectacles par la RATP. Il revient avec une nouvelle création étonnante et provocante malgré quelques problèmes de mise en scène et d’écriture qui l’empêchent de briller totalement.

Lila et Renaud vivent une relation passionnée et torride. Elle est une mannequin réputée, il est un jeune réalisateur de pubs. Leur mariage est prévu à Las Vegas. Mais Lila enchaîne les bizarreries et les comportements louches. Est-elle vraiment celle qu’elle prétend ?

La pièce se présente comme un polar érotique. Dans la tête du spectateur, les références fusent. Body Double de Brian De Palma pour l’image de la femme qui obsède, Basic Instinct pour la relation torride et dangereuse. Lila est une femme forte, manipulatrice. Une perverse narcissique qui modèle son univers à sa guise. Elle domine et dirige Renaud par la sexualité. Elle le lie à elle et ressert son étreinte métaphoriquement comme physiquement par l’usage de cordes. La pièce accumule les rebondissements et utilise la construction en trois actes des scenarii de cinéma. La pression va crescendo. Si la surprise n’est pas toujours au rendez-vous, le tout est bien mené. On peut juste déplorer un monologue trop long et trop descriptif à la fin de l’acte 2 qui fait le point sur des choses que le public aurait pu comprendre par lui-même.

L’héritage cinématographique se retrouve dans la mise en scène de l’auteur. Sa gestion de l’espace, les éclairages et l’utilisation de vidéos incrustées au décor sont pleinement tirés du grand écran. Si Arthur Vernon gère très bien l’aspect « sulfureux » de sa pièce, en montrant suffisamment pour être évocateur sans être pornographique, il ne met pas en avant le potentiel artistique de son sujet. La scénographie est littérale et sans grande inventivité. Elle ne fait jamais appel à des symboles et tout est montré. Le spectacle aurait pu gagner en intensité avec davantage de folie créative.

C’est d’autant plus dommage qu’Arthur Vernon a deux Rolls Royce en guise de comédiens : Daniel Hederich et Anna Stern. L’osmose entre les deux est manifeste et ils portent le texte avec une fluidité exemplaire. Dès leur première apparition, leur personnage prend corps et devient clair aux yeux du public. Leurs talents prennent toute leur dimension dans une scène où ils doivent jouer des personnages différents. Ils passent de Lila et Renaud aux autres avec aisance et changent du tout au tout.

Une femme extraordinaire est un moment théâtral qui sort des sentiers battus avec un sujet vénéneux. Son histoire est classique mais efficace, et portée par des comédiens qui illuminent la scène. La crédibilité de leur relation fait beaucoup du charme de la pièce. La mise en scène est réglée au millimètre même si elle aurait mérité d’être plus inventive. Il n’empêche qu’il est rare de voir un spectacle aborder frontalement des femmes libres de leur vie sexuelle et dominantes.

Un article de Florian Vallaud