CINEMA, DANS TON SALON, EN SALLE

« La Chute » poursuit son ascension

Anatomie d’une chute (2023)

Un film de Justine Triet

Avec Sandra Hüller, Samuel Theis,

Swann Arlaud, Antoine Reinartz…

Genre : Policier, drame

Distribué par le Pacte et Mk2 Films

Sortie le 21 Mai 2023

Disponible en dvd, blu ray et VOD

Cette nuit se tenait à Los Angeles la 81ème cérémonie des Golden Globes. Sans surprise, après avoir obtenu la Palme d’Or au festival de Cannes, Anatomie d’une chute de Justine Triet repart avec les trophées du « meilleur Scénario » et du « meilleur film étranger ». Pourtant désavoué par Elisabeth Borne parce que la réalisatrice ne l’a pas brossé dans le sens du poil, le film continue de séduire à l’international. Hélas, pour la raison suscitée, il ne pourra pas briguer l’oscar du meilleur film étranger. A toute fin utile, rappelons que si l’art est politique, la politique ne devrait pas se mêler de l’art. Ceci mis à part, quelles sont les qualités de ce long métrage qui justifient un tel succès ?

Le film raconte le procès de Sandra (Sandra Hüller) après que son mari, Samuel (Samuel Theis), soit tombé du haut du balcon de leur chalet. Epaulée par Maitre Vincent Renzi (Swan Arlaud), elle va devoir faire face à l’avocat général (Antoine Reinartz) et convaincre la Cour de son innocence.

Justine Triet nous a habitué à pervertir les genres cinématographiques. Dans Victoria (2016), elle détournait déjà la comédie romantique pour proposer une analyse très fine de la femme entre deux âges. Ici, c’est le film de procès qui est abordé avec intelligence. A l’instar de La Nuit du 12 de Dominik Moll, ce n’est pas la vérité des faits qui importe ici mais la vérité judiciaire. Savoir ce qu’il s’est produit n’est pas le propos. « La Chute » du titre dont nous sommes invités à découvrir « L’anatomie » n’est pas celle de Samuel.

Cet événement est le prétexte à passer au crible la chute d’un couple, son délitement progressif. vOn y entraperçoit des accès de violence. Peut-être qu’il s’agit de la raison de la mort de Samuel, mais peut-être pas. Le spectateur est invité à se faire son idée.

Pour appuyer sa volonté de ne pas offrir un récit artificiel dont la structure mènerait à une résolution artificielle, Justine Triet ressort des outils dont elle a déjà prouvé sa maîtrise. Ainsi, sa réalisation se veut documentaire. L’image est brute et la caméra bouge régulièrement pendant les séquences de tribunal. Souvent, elle ne trouve pas du premier coup la personne qu’elle doit filmer. Cela ne fait que renforcer le réalisme de son histoire.

Devant cet objet filmique qui modifie nos habitudes de spectateurs, il n’est pas compliqué de comprendre ce qui peut séduire à l’international : des personnages dont il est difficile de discerner la responsabilité, une réalisation documentaire qui brouille les pistes entre le réel et la fiction (renforcé par le fait de faire porter le prénom des comédiens aux personnages). Entre son succès critique et publique, il ne fait aucuns doutes qu’Anatomie d’une chute aurait été un candidat sérieux aux Oscars.

Un article de Florian Vallaud

 

EDITO, NEWS

La Culture n’était pas à la fête

Alors que la France était en pleins préparatifs pour les célébrations traditionnelles de la fin décembre ; tandis que les magasins débordaient d’une foule peaufinant ses derniers cadeaux, le monde du cinéma n’était pas à la fête. Pourtant rompus à l’explosion de scandales, les professionnels du 7ème art allaient assister à la chute d’une de ses idoles. Il semblerait que, cette fois-ci, Cyrano n’ait pas eu du nez.

L’affaire démarre avec plusieurs dépôts de plaintes pour agressions sexuelles visant Gérard Depardieu. Le plus russe et nord-coréen de nos acteurs français s’inscrit en faux. Son entourage, à commencer par sa famille, le défend. Puis, vient l’émission Complément d’enquête. La bête noire de ceux qui ont des choses à se reprocher (en particulier de la galaxie Bolloré, ce qui revient au même) diffuse un documentaire autour de ces accusations. Le magazine appuie son propos d’images issues d’un documentaire abandonné réalisé par Yann Moix. On y voit un comédien ordurier, priapique et, le pire de tout, qui sexualise une fillette.

Tandis que Bolloréland (qui a des comptes personnels à régler avec l’émission de France 2) ouvre son micro à Yann Moix. Il affirme que les images lui ont été volées. La polémique enfle tant et si bien que, quelques jours plus tard, Depardieu voit apparaitre deux défenseurs de poids. Le 20 décembre, Emmanuel Macron, considérant depuis longtemps que l’huile sur le feu est un axe de gouvernement, vient en aide au comédien. Il déclare sur le plateau de C à vous qu’il « aime le comédien qui a servi les plus grands textes ». Pire, il se fait l’écho de théories complotistes, rapidement démenties, sur un montage fallacieux du documentaire. Le propos classique inhérent à la séparation entre l’homme et l’artiste : si c’est un génie, ce n’est pas un agresseur mais un être grivois, gaulois. Il n’y aura pas un mot du président envers les victimes. Cela prouve, une fois encore, que sa politique penche pour le patriarcat, le conservatisme et la culture du viol.

Mais revenons-en à la culture ! Comme une sorte de cadeau de noël malveillant, Le Figaro publie une tribune de soutien…à Gérard Depardieu. 50 signataires y réaffirment l’importance de ne pas « cancel » l’œuvre de l’acteur. Les noms de ces soutiens surprennent, indignent ou nous confortent dans l’idée qu’ils se moquent des victimes. Certaines personnes font même partie des soutiens ardents de Roman Polanski. Et si ces signataires avaient avant tous pensé à leur carrière ? Après tout, ils sont nombreux à avoir tourné avec l’ogre du cinéma français. Et s’ils avaient signés par peur de voir leurs films « censurés » ? Toujours est-il que leur nom est là, le mal est fait et rien ne pourra changer cela.

Le retour de flamme ne se fait pas attendre. Des contre-tribunes fleurissent, atomisant sans difficulté celle du Figaro par le nombre impressionnant de signataires. Par ailleurs, les accointances d’extrême droite du créateur de la tribune du Figaro fait peur à certains. Carole Bouquet, Nadine Trintignant, Pierre Richard quittent le navire, espérant probablement que leur participation sera pardonnée. Seul Jacques Weber exprime des regrets qui évoquent pour une fois les victimes : « Ma signature était un autre viol ».

Car, ce que prouve à nouveau toute cette affaire, c’est l’invisibilisation des victimes. Le monde du cinéma s’invective, se déchire, mais personne ne pense à celles qui ont parlé. Plutôt que de les écouter, de leur donner un mégaphone pour partager leur histoire, on parle à leur place. Elles deviennent les instruments d’une guerre intestine. Gérard Depardieu n’a pas besoin de tribune pour dérouler son discours. L’affaire PPDA nous l’a prouvé il y a peu : il a pour lui son statut de « géant du cinéma français » et la présomption d’innocence. Les victimes n’ont rien.  Elles se retrouvent même avec un chef d’Etat contre elles.

Les affaires se succèdent mais rien n’y fait : ce monde ne veut pas changer. C’est donc à nous de l’y contraindre.

Un article de Florian Vallaud

 

SERIES

Une série qualifiée

Astrid et Raphaëlle (2019 –     )

Une série créée par Alexandre De Séguins

Et Laurent Burtin

Avec Lola Dewaere et Sara Mortensen

Produit par JLA Productions

Saison 4 à partir du 09/11/2023

Sur France 2

 

Vous connaissez JLA Productions ? Mais si, réfléchissez un peu ! Ces initiales vous disent forcément quelque chose. Allez, je vous aide : ce sont les initiales du A de AB Productions. Vous l’avez ? Jean-Luc Azoulay continue sa route de producteur. Avec JLA, il développe des séries à succès pour TF1 comme Joséphine ange gardien et Camping Paradis. Ce n’est pas votre came ? Ok ! Vous préférez des morts et des enquêtrices hors norme ? Ils ont ce qu’il vous faut : Astrid et Raphaelle. Cette série diffusée sur France 2, qui démarre sa 4ème saison ce vendredi, ne cesse de surprendre par sa qualité narrative. Alors allons faire un petit tour du côté de LA série policière française à ne pas rater.

Tout d’abord, qu’est-ce que ça raconte ? Raphaëlle Coste, commandante à la PJ, fait la rencontre d’Astrid Nielsen, employée à la Documentation Criminelle. Epatée par sa connaissance encyclopédique du crime et son sens de la déduction, Raphaëlle l’intègre vite à son équipe. Seulement, il y a un léger « soucis ». Astrid est atteinte de TSA (Trouble du Spectre Autistique). Comment l’énergie bordélique de Raphaëlle peut-elle s’accorder avec le handicap social d’Astrid ?

Alors, vous allez me dire qu’on a déjà vu des séries policières avec des protagonistes aux caractères opposés. Et c’est vrai : Castle, Rizzoli & Isles, Monk. On en a quelques-unes aussi en France, mais aucune dont le handicap est moteur de l’intrigue. HPI ? Ce n’est guère plus qu’un prétexte pour mettre Morgane Alvaro (Audrey Fleurot) dans les pattes de la police. Dans Astrid et Raphaëlle, son autisme est au centre du dispositif narratif. Parfois pour de la comédie, comme lorsque sa comparse l’invite à changer ses routines qui la rassurent, mais souvent pour en montrer les difficultés : anxiété et inaptitude sociale, difficulté de communiquer, extrême sensibilité aux bruits et aux lumières fortes, intérêt spécifique autour des puzzles, etc. Si la liste semble longue, c’est que ces symptômes sont souvent liés. Mais Astrid ne porte pas seule la parole des autistes. L’intelligence des scénaristes a été de montrer son groupe d’aptitude sociale, qui lui permet d’apprendre comment comprendre et interagir avec les neurotypiques (ceux qui ne sont pas TSA). Par le développement des personnages composant ce groupe (surtout en saison 3), le spectateur peut avoir une idée de ce qui se passe dans la tête (et le cœur) des neuro-atypiques. Pour plus de justesse, l’équipe créative compte en son sein plusieurs personnes TSA. Il est évident que la série ne peut contenir toute la complexité de ces handicaps, qu’elle ne peut que tracer des esquisses (parfois jusqu’à la caricature). Mais c’est ce que la télévision française a pu nous offrir de mieux jusqu’à maintenant. C’est déjà énorme.

Le duo évolue. Elles apprennent l’une de l’autre. Raphaëlle joue ce rôle de la personne qui vient bousculer les certitudes d’Astrid. Ainsi, cette dernière n’est plus la même en saison 4 qu’en saison 1. Beaucoup de choses ont évolué dans sa vie et son cercle social s’agrandit petit à petit. Dans cette saison, elle va même aborder un rapport qu’elle ne pensait jamais avoir à affronter.

Mais le côté policier alors ? Il est abordé avec autant de soin que le développement des personnages. Clairement inspirés par Conan Doyle et son personnage Sherlock Holmes (certains détails habilement dissimulés y font souvent référence), les scénaristes s’appliquent à proposer des intrigues innovantes dans une série française, et dont les résolutions ne sont pas si aisées. Un homme foudroyé un jour de plein soleil, des manifestations surnaturelles, un golem : plus c’est incroyable, plus l’énigme donne des épisodes surprenants. Afin de s’inscrire dans les traces de leur illustre modèle, les scénaristes donne une némésis à Astrid, son Moriarty. Incarné par Stéphane Guillon, le personnage est glaçant. Chacune de ses apparitions est la promesse d’un épisode sous haute tension.

Il est maintenant temps d’évoquer les merveilles comédiennes qui portent cette série. Lola Dewaere campe une commandante bordélique avec le plus grand des naturels. Elle passe facilement entre la ténacité qu’exige son métier et la tendresse envers celle qui devient son amie. Elle passe de la comédie au drame en une fraction de seconde, sans qu’on ne voie la bascule. Elle a probablement le rôle le plus compliqué. A l’instar de son personnage qui porte Astrid, Lola Dewaere porte Sara Mortenson. A l’opposé total de son caractère, son travail est complexe. Il faut incarner un personnage TSA et ne pas le mimer, encore moins le caricaturer. Elle adopte un phrasé, une gestuelle propre à Astrid. Tout est millimétré si bien que, lorsque certains événements « libèrent » Astrid, on voit affleurer une étincelle dans son œil. C’est déroutant au départ, puis sa « petite musique » s’inscrit totalement dans l’ensemble.

Si ce n’est déjà fait, Astrid et Raphaëlle est une série à découvrir sans délai : captivante, drôle, touchante, abordant le handicap avec bienveillance. Bien qu’il y ait des aspects feuilletonnant, chaque enquête est indépendante. La saison 4 n’est peut-être pas la saison idéale pour démarrer sans ne rien savoir de la saison précédente, mais elle constitue pour l’instant la seule porte d’entrée possible (hormis les dvd disponibles). En effet, les premières saisons ne se trouvent pour l’instant sur aucune plateforme légale. Peut-être serait-il bien d’y remédier ?

Un article de Florian Vallaud

LIVRES

Ouvrir l’iris

L’iris blanc (2023)

Astérix et Obélix Tome 40

Scénario : FabCaro

Dessins : Didier Conrad

Paru le 26 octobre 2023

Chez Hachette

 

Contrairement à ce qu’on pouvait craindre : Astérix n’est pas mort avec ses créateurs ! Il est même très vivant. Des projets fleurissent chaque année pour le meilleur…et pour le pire. Mais nous ne parlerons pas ici du « film » de Guillaume Canet. Encore que cela pourrait être intéressant de le faire dans un futur proche pour comprendre ce qui n’y fonctionne pas. Bref, entre les jeux vidéo, la série d’animation autour d’Idéfix et celle d’Alain Chabat pour Netflix, la licence a de beaux jours devant elle. C’est dans ce contexte que parait le 40ème album, L’Iris blanc.

En 50 avant Jésus-Christ, toute la Gaule…Vous connaissez le laïus ! Jules César cherche un nouveau moyen pour soumettre le village d’Astérix. Et si la solution venait de Vicévertus, créateur du précepte de L’Iris Blanc qui apporte l’apaisement par la pensée positive ?

Depuis 2013, l’univers dessiné des irréductibles a été confié à Jean-Yves Ferri pour le scénario, et à Didier Conrad pour le dessin. Si ce dernier n’a jamais démérité, les qualités scénaristiques étaient plus fluctuantes. Les albums étaient sympathiques mais pas transcendants. Ils offraient une aventure orientée principalement pour le jeune public. Les différents niveaux de lectures manquaient cruellement.

Pour ce nouvel opus, on garde le dessinateur et on lui octroie un nouveau scénariste, le très populaire FabCaro. Bédéiste et romancier à succès, il s’est imposé par un univers très personnel dominé par l’humour absurde qui cache un regard acéré sur la société. Ici, on adore ! Mais on se demandait aussi si son écriture allait réussir à se marier à un univers aussi codifié qu’Astérix. Comment son humour allait embrasser celui de la série sans la dénaturer ? C’est dire s’il était attendu au tournant.

Sans être un album parfait, c’est une franche réussite. S’inscrivant dans les pas de René Goscinny, FabCaro prend tous les ingrédients d’un bon album d’Astérix. Toutefois, son côté « bon élève » peut parfois lui desservir. A trop vouloir respecter le maître, il est difficile de s’en détacher. Ainsi, la structure scénaristique de l’album est un mélange de La Zizanie, Le Devin et Le Domaine des dieux. On y trouve aussi des résonnances avec Obélix et compagnie. C’est toujours un plaisir pour le fan de retrouver des clins d’oeils aux albums précédents, des personnages, etc. Mais cela devient embêtant quand cela rend l’histoire prévisible. Gageons que cela n’était qu’un fil d’Ariane pour son premier album, et que le talent de FabCaro nous offrira une prochaine histoire totalement inédite.

Car pour le reste, on frôle la perfection. La satire de notre époque, qui était presque devenue secondaire depuis le décès de Goscinny, revient en force. FabCaro compose une caricature féroce des mouvements de développement personnel, qui prétendent offrir des solutions à coup de phrases toutes faites. Chaque planche fourmille de références plus ou moins évidentes à la société actuelle. Nous en prenons pour notre grade et le rire devient libérateur. Par son art de l’absurde, FabCaro marque le grand retour des jeux de mots de qualité et autres calembours. Il n’a pas peur d’y aller et on ressent son plaisir de les écrire.

Malgré son manque d’originalité narrative, L’Iris blanc signe une belle entrée de FabCaro dans l’univers du petit gaulois. Hilarant et satirique, il est à mettre entre toutes les mains.

Un article de Florian Vallaud

CINEMA, EN SALLE

Le Dupontel nouveau est arrivé !

Second Tour (2023)

Un film de et avec Albert Dupontel

Avec Cécile de France, Nicolas Marié

Sortie le 25/10/2023

Distribué par Pathé

ENFIN, le moment est arrivé ! Cela fait maintenant trois mois que nous l’attendons. Trois mois que nous trépignons d’impatience pour évoquer cette sortie incontournable de l’automne. Trois ans après son dernier film, Adieu les cons (2020), le Dupontel nouveau est arrivé ! Et c’est un très bon cru. Peut-être un peu trop délicat pour certains palais, mais qui se déguste avec plaisir.

Entre-deux tours de l’élection présidentielle. Pierre-Henry Mercier (Albert Dupontel) est le candidat favori, portant des valeurs traditionnalistes et volontiers réactionnaires. Mais ce discours interpelle la journaliste politique Mademoiselle Pove (Cécile de France), placardisée depuis peu au service football. Assistée de son cameraman, Gus (Nicolas Marié), elle décide de mener l’enquête pour comprendre qui se cache derrière ce candidat « idéal ». Mais son enquête ne fait pas plaisir à tout le monde.

Si Albert Dupontel se défend de faire un film engagé, lui préférant le terme de « fable », il est incontestable que ce long métrage aborde des questions essentielles de notre société.  Sur un fond d’urgence écologique, il compose un récit où les personnages sont confrontés à la difficulté d’être en adéquation avec leurs idées. Ils peuvent avoir les meilleures intentions du monde, le système va toujours trouver un moyen de les faire entrer dans le moule afin de se préserver.

Ce propos est cohérent avec l’évolution du cinéma d’Albert Dupontel. Au fur et à mesure que le monde devenait plus cruel, l’auteur est devenu doux-amer. La satire a laissé place à la fable. Les marginaux déglingués, ceux qui tuaient dans une joyeuse anarchie sont devenus rêveurs, utopistes. Ce sont des anomalies dans un monde où le feu de l’espoir s’éteint. Ils en portent les dernières braises. Ce n’est donc pas politique, mais un petit peu quand même.

La mise en scène adopte les oripeaux des thrillers politico-paranoïaques des années 1970. On pense aux Hommes du président (Alan J. Pakula, 1976) ou à I comme Icare (Henri Verneuil, 1979). Chaque plan est travaillé pour être beau, sublimé par une photographie toute en contraste. Les ombres des stores viennent se poser sur le visage des journalistes qui enquêtent, le monde politique est dans une pénombre constante. En totale cohérence avec un gros rebondissement, le réalisateur opère un changement de couleur et de mouvements de caméra à un moment clé du film. Car, qui dit enquête, dit révélations. Et Albert Dupontel n’en est pas avare, baladant le spectateur au gré des fausses pistes et de découvertes improbables, Le tout saupoudré de comédie pour rendre l’ensemble plus aérien.

Albert Dupontel incarne le rôle de Pierre-Henry Mercier avec le talent qu’on lui connait pour camper des hommes secrets et torturés. Mais il laisse la place de protagoniste principale à Cécile de France qui nous offre une journaliste aussi pugnace qu’Elise Lucet. Si son phrasé peut dérouter aux premiers abords, paraître faux, c’est qu’il est conçu comme une partition musicale. Ainsi, son jeu décalé permet de sortir le spectateur du réel, d’entrer dans la fable du réalisateur. Une fois cette barrière passée, elle attire le regard et rappelle qu’elle est une comédienne talentueuse.

Mais celui qui emporte tout sur son passage est un habitué des films de Dupontel. Depuis son premier film, l’acteur est là. Lors de l’avant-première lilloise, le réalisateur affirmait même qu’il était temps qu’on le reconnaisse en tant qu’immense comédien. Nicolas Marié transcende son rôle de cameraman fan de football. A chaque plan, chaque réplique, il offre un nouvel effet hilarant. Il porte en grande partie l’aspect comédie, et cela paraît tellement léger sur ses épaules. A chaque nouvelle histoire, Albert Dupontel semble à la fois lui écrire quelque chose à sa mesure et le pousser dans ses retranchements. Comme s’il voulait prouver par l’expérience que son ami à l’étoffe d’un premier rôle. Et on ne peut qu’être d’accord avec lui.

Second tour est une nouvelle réussite au palmarès d’Albert Dupontel. Un peu moins nihiliste qu’Adieu les cons, il n’en est pas moins profond. Hilarant, palpitant et sublime, il est tout ce qu’on aime chez ce réalisateur. Quant au choix entre le « film engagé » ou la « fable », rappelons que les contes et les fables ont tous une morale. Qu’est-ce qu’une morale sinon une vision claire de ce qui doit être ou ne pas être ? Qu’est-ce qu’une morale sinon un engagement politique ?

Un article de Florian Vallaud

Théâtre

It’s a silly place !

Spamalot

Un musical d’Eric Idle et John Du Prez

Mis en scène par Pierre-François Martin Laval

Depuis le 23 septembre 2023

Au Théâtre de Paris (75009)

 

Vous vous en rendrez bien vite compte, l’auteur de cet article est un amoureux transi de comédies musicales. Attention ! Les vraies ! Pas celles dont la France nous a abreuvé au début des années 2000. Je n’attends pas avec une folle impatience la nouvelle production de Dove Attia, Molière l’Opéra urbain. Je ne m’émoustille pas du retour des Dix Commandements, même si je dois bien avouer que la guerre intestine entre Pascal Obispo et Elie Chouraqui me fait plutôt rire. Non ! Je parle de celles dont les principes fonctionnent sur une alternance de scènes jouées et de morceaux chantés qui font avancer l’intrigue. Celles dont tous les éléments artistiques concourent à raconter une histoire. Nous y reviendrons plus tard mais ces œuvres existent en France, il suffit de les chercher. Ceux qui suivaient ce site il y a 5 ans le savent. Pour les autres, les articles sont toujours en ligne.

Toutefois, on ne peut pas nier que la plupart des pièces connues sont anglosaxonnes. Fort heureusement, quelques théâtres se sont chargés de nous les transmettre depuis environ 15 ans. La Mélodie du bonheur, Grease, Sweeney Todd, Le Roi Lion, Sister Act, Haispray, La Famille Addams, Frankenstein Junior…et le génial Spamalot. Cette adaptation du film Sacré Graal des Monty Pythons est aussi culte que l’original. Nous y suivons les péripéties « pas trop » héroïques du roi Arthur et de ses Chevaliers de la Table Ronde pour trouver le Saint Graal. Ecrit par Eric Idle, membre de la troupe qui reste actif pour pérenniser leur héritage, et le compositeur John Du Prez, ce délire musical reprend la majorité des scènes du film : Les chevaliers du Ni, Le chevalier noir, les Français, le lapin tueur et la sainte grenade. Mais il en réinvente aussi certains enjeux pour l’adapter à son nouveau médium. L’œuvre est créée en 2005 et adaptée 5 ans plus tard par Pierre-François Martin Laval. Elle se rejoue en 2013 à Bobino avant de disparaître pendant 10 ans.

Grâce à Stage Entertainment, le public peut maintenant le (re)découvrir dans une version toute neuve. Mais que vaut cette version ? Le spectacle a-t-il bien vieilli ? Le casting est-il à la hauteur ?

Pas de faux suspens : la réponse à toutes les questions est oui ! Spamalot rappelle sans conteste que PEF est un artisan de burlesque et de l’absurde. Il injecte son univers poétique à une œuvre où l’humour britannique exsude par tous les pores. Par de nombreux ajouts culturels liés à l’actualité récente, il créé une connivence entre le public et le spectacle. Une fois embarqués, les spectateurs sont prêts à assister à toutes les folies d’Eric Idle. L’apport de Stage Entertainment à la production se fait sentir dans la magnificence des décors. C’est rythmé, sans cesse surprenant et donc hilarant.

Dans le rôle du Roi Arthur, le metteur en scène étonne par son évolution en chant et en danse. Il ne démérite pas face à des professionnels de la comédie musicale. Présent dans quasi toutes les scènes, il fait office de diapason à ses camarades. Il impulse le rythme qui leur permettra de déployer tout leur talent. Et il y en a à la pelle ! L’énergie de troupe se ressent jusque dans la salle. Chacun travaille pour le collectif tout en ayant son moment de gloire. Ils jouent souvent plusieurs rôles avec le même soin apporté à l’interprétation que pour leur personnage principal. Toutefois, le livret met en avant le personnage de la Dame du Lac, magnifiquement incarnée par Lauren Van Kempen. Sa maitrise vocale lui permet d’offrir un orgasme auditif au cours de l’acte 2.

Spamalot est le spectacle feel-good de cet Automne 2023.  A pleurer de rire, il est porté par une équipe super talentueuse qui se donne à fond. On peut d’ailleurs s’étonner qu’avec toutes ces qualités, Stage Entertainment n’ai pas mis autant d’énergie dans la promotion que dans celle du spectacle de Michalik qui l’a précédé. Espérons que le bouche-à-oreille palliera cet oubli. Alors foncez au Théâtre de Paris, et donnez à ce spectacle l’immense succès qu’il mérite. Vous verrez les choses du « bon côté de la life ».

Un article de Florian Vallaud

Théâtre

j’veux du queer

Mérou

Un spectacle de Lou Trotignon

Le jeudi à 19h30 à La Nouvelle Seine (Paris 5eme)

Et en tournée dans toute la France

Le 23 septembre 2023 à 21h au Spotlight (Lille)

Les 6&7 octobre 2023 à Genève (Suisse)

Les 13&14 Octobre 2023 à Marseille

Le 3 novembre 2023 à Toulouse

Le 18 novembre 2023 à Bruxelles

Depuis la rentrée, une nouvelle bouille vient renouveler les visages d’artistes dans le métro parisien. Parmi les nombreuses affiches, dont certaines sont là depuis longtemps, celle-ci détonne. Par le pantalon à carreaux improbables que l’humoriste porte fièrement, mais aussi par son titre : Mérou. Ceux qui ne le connaissent pas peuvent être intrigués. Pour nous, c’est une belle victoire pour Lou Trotignon que nous avons découvert il y a plusieurs mois sur Instagram. L’envie d’assister à son spectacle s’est renforcée par le Pride Comedy Show, plateau d’humoristes queer organisé en mai dernier au Théâtre de la Renaissance (Paris 10e). Car, sous la présence hégémonique de quelques noms du Stand-up, une vague queer prépare sa déferlante.

Lou Trotignon n’attend pas bien longtemps pour parler de sa transidentité. Je sais déjà en écrivant ce mot qu’une partie des lecteurs vient d’interrompre sa lecture. Grand bien leur fasse ! Pour les autres, prenez un siège et installez-vous. Car le spectacle de Lou Trotignon est une safe place pour les queers en tout genre ou les alliés qui voudraient toucher de plus près des sujets importants : la difficile quête de soi confrontée à un monde hétéronormé, les questions de genre, la transidentité, l’hypersexualisation du corps féminin, etc. Tout ce qui occupe notre époque est contenu avec intelligence dans cette heure de spectacle. Lou Trotignon évoque également des sujets aussi sensibles que le striptease, l’astrologie ou les goûts discutables des hommes hétéros cisgenres. Par ailleurs, bien qu’abordant des thèmes queers, il ne laisse pas les alliés dans un coin, faisant régulièrement des « points tutos » pour que tout le monde parte sur les mêmes bases.

Malgré le sérieux des sujets, soyons francs : ce spectacle est hilarant. De l’efficacité des blagues à la précision rythmique de l’interprétation, Lou Trotignon attrape son public dès les premières minutes pour ne le relâcher que 60 minutes plus tard, éreinté mais repu. Par son phrasé particulier, son visage très expressif et un sens aigu de l’autodérision, il séduit facilement. Le lien avec le public se créé d’autant plus que l’humoriste parvient à rebondir aisément sur les aléas du spectacle vivant (un lapsus, des réponses improbables des spectateurs…). Le spectacle se termine sur une forte intensité émotionnelle, un moment de partage très rare. La représentation que nous avons vue était celle de la rentrée. Cette fin avait donc une portée particulière pour l’artiste et son public, convaincus de se joindre à une séance de câlinothérapie, d’embrasser un instant de bonheur.

Cela peut paraitre étrange de le faire maintenant, mais nous tenons à saluer le talent immense de sa première partie, l’humoriste Tanhee qui joue tous les vendredis et samedis à 19h30 dans la même salle. Nous ne nous étendons pas dessus car il se peut qu’un article entier lui soit consacrée prochainement.

Toujours est-il que Mérou doit figurer dans vos agendas de spectacles dans les prochaines semaines. Il est même conseillé de réserver bien à l’avance car Lou Trotignon affiche quasiment toujours complet. A tel point qu’on pourrait se dire que La Nouvelle Seine va rapidement devenir trop petite pour lui. Il serait dommage de passer à côté de cette safe place à pleurer de rire tout autant qu’elle questionne. Lou Trotignon dit qu’il est « tout en petitesse » mais il y a fort à parier qu’il fera très bientôt partie des grands.

Un article de Florian Vallaud

Théâtre

Remettre le pommier au milieu de la Françafrique

Jacques et Chirac

Une pièce de Régis Vlachos

Mise en scène de Marc Pistolesi

Avec Charlotte Zotto, Régis Vlachos et Marc Pistolesi

Du mardi au dimanche

Jusqu’au 5 Novembre 2023

Au Théâtre de la Contrescarpe (Paris 5eme)

 

En ce mardi soir, l’étroite rue de la Contrescarpe voit naître une file d’attente de plus en plus grande. Les cheveux blancs y côtoient ceux qu’on appelle les jeunes actifs. Il a plu toute la journée et ce n’est pas l’ambiance idéale pour sortir. Et pourtant, ils se massent devant les portes du théâtre de la Contrescarpe pour assister à Jacques et Chirac, la nouvelle pièce de Régis Vlachos après le succès de Cabaret Louise.

Pour ceux de ma génération (de la deuxième partie des années 1980), Jacques Chirac est le président qu’on a connu le plus longtemps : 12 ans tout de même ! Et pourtant, c’est probablement celui que les français connaissent le moins bien. On garde en tête un président sympathique qui tâte le cul des vaches, taquine Michel Field lors de sa campagne de 1995, ne connait pas le nom des joueurs en 1998 et se fait repérer par Bernadette alors qu’il drague une charmante jeune femme. Bref, nous retenons des images de bêtisier. Et c’est en cela que le spectacle de Régis Vlachos est pertinent : il remet le pommier au milieu de la Françafrique.

Si vous vous attendez à un spectacle hagiographique à la gloire de l’héritier du gaullisme, ce spectacle n’est pas pour vous. En revanche, si vous chercher une analyse aussi fine que cinglante de l’histoire de Jacques Chirac, vous êtes au bon endroit. Ce n’est pas que le texte de Régis Vlachos soit militant, il est honnête. Il n’élude aucun sujet. Il n’évite aucun dossier brûlant. Sa plume est acerbe. Une des premières réactions entendues à la sortie du spectacle était précisément « ça tire à balles réelles ! ». Et c’est très juste. Que ce soient les nombreuses affaires financières, les ingérences françaises en Afrique ou la débâcle de 1997 : tout est abordé sous un prisme éclairant. Mais la pièce ne nous montre pas un personnage unidimensionnel. On y rencontre également l’autre Jacques : celui qui, s’il n’avait pas été entouré par Marcel Dassault, Marie-France Garaud et Pierre Juillet, serait devenu tout autre.

photo tous droits réservés. Toute diffusion, utilisation interdite sans autorisation de l’auteur. Copyright Fabienne Rappeneau

La mise en scène ingénieuse de Marc Pistolesi complète admirablement le texte. L’omniprésence d’écrans de télévision vient appuyer l’importance de ce média dans l’ascension du futur président. Ils permettent aussi de présenter des personnages méconnus du grand public. Il a également un travail important sur le rythme : les 1h20 passent à toute vitesse. Les changements de scènes sont fluides et ne perdent jamais l’attention du spectateur.

Mais attention, il nous faut préciser quelque chose d’important, d’essentiel même : Jacques et Chirac est très drôle ! Par son texte, bien sûr, qui est plus proche de la satire des Guignols de l’info que des chansonniers. Mais aussi par son trio de comédiens. Ils évitent l’écueil de l’imitation des figures connues pour les incarner. Evidemment, certains traits caractéristiques demeurent : le sourire de Chirac, la frénésie de Sarkozy, etc. Mais le reste est un travail de comédien pour aller chercher l’intériorité du personnage, mais aussi ce qui le rend ridicule parfois. Ils forcent un peu le trait pour aller chercher la comédie sans jamais tomber dans le grotesque. C’est un formidable numéro d’équilibriste. Régis Vlachos est un Chirac drôle, carnassier et touchant. En plus des autres personnages qu’elle incarne, Charlotte Zotto offre une Claude Chirac plus vraie que nature, qui voit le désastre arriver sans jamais pouvoir y faire quoi que ce soit. Quant à Marc Pistolesi, dont nous avons souvent vu les prestations sautillantes, il fascine par son dynamisme constant et sa capacité à enchainer les personnages à une vitesse folle. Mais, étrangement, c’est dans son rôle indéfini en tant que présentateur d’une « émission qui n’existe pas » qu’il fascine le plus. En duo avec Charlotte Zotto, chacun munis de perruques et de lunettes, ils ne peuvent miser que sur leur énergie et leur synergie pour offrir des scènes aussi hilarantes qu’angoissantes.

photo tous droits réservés. Toute diffusion, utilisation interdite sans autorisation de l’auteur. Copyright Fabienne Rappeneau

Bref, vous l’aurez compris, Jacques et Chirac fait parti des spectacles à ne pas rater en ce début de saison. Le public ne s’y trompe pas puisque le spectacle était complet un mardi soir. Hilarant, acide, pertinent et très documenté, ce spectacle vous propose un voyage inédit dans le sous-sol de la Vème république. Au risque d’en ressortir avec une nouvelle vision des choses et d’y rencontrer quelques cadavres dans le placard !

Un article de Florian Vallaud

LIVRES

Voyage en Italie

Veiller sur elle (2023)

Un roman de Jean-Baptiste Andrea

Publié chez L’Iconoclaste

580 p.

Je ne peux pas commencer cet article sans vous faire une confidence : je n’ai jamais lu Jean-Baptiste Andrea. Je sais, c’est honteux ! Ce n’est pas l’envie qui m’a manquée. Je vois passer ses romans depuis plusieurs années dans les librairies ; je lis les quatrième de couverture avec envie : mais rien ! Jamais l’occasion, jamais le temps. Toujours autre chose à lire en priorité. Il fait partie de ces fameux rendez-vous manqués. Cent millions d’années et un jour, Des Diables et des saints, Ma Reine…Tant de titres dont j’avais raté le coche. Et puis, on m’a mis Veiller sur elle entre les mains. Il fait déjà partie des succès de cette rentrée littéraire, auréolé du Prix Fnac 2023. Il était temps de s’y mettre.

Nous sommes en 1986. Un homme vit ses derniers instants dans une abbaye italienne où est caché un objet que le Vatican ne veut pas voir réapparaitre. L’homme raconte sa vie de jeune homme qui, rêvant d’être sculpteur, va vivre un parcours initiatique dans une Italie en plein chamboulement politique.

Comme son résumé le laisse penser, Jean-Baptiste Andrea nous convie à prendre part à une grande fresque historique et romanesque. Par ce récit initiatique enrobé de mystère, Le romancier aborde plusieurs thèmes qui s’imbriquent les uns dans les autres : l’ambition et ce qu’on est prêt à sacrifier pour parvenir à ses fins. Parvenir à concrétiser ses rêves justifie-t-il de renier ses principes ? Il y est aussi question, comme dans certains films de Visconti, de la fin d’un monde : l’aristocratie italienne. Le tout est porté par des personnages attachants auxquels l’auteur attribue des personnalités complexes. Mimo, son protagoniste nain rêvant d’être sculpteur, doit opérer des choix moraux tout au long de l’intrigue, nous invitant à nous questionner sur ce que nous aurions fait.

 Car l’autre grande force du livre est de nous raconter la montée en puissance du fascisme italien du point de vue de ceux qui n’en voient pas les dangers. Par petites touches, Andrea nous amène à comprendre comment un pays se laisse dominer par ces idées nauséabondes malgré lui, lentement mais surement. Le propos est bien là sans jamais être professoral.

L’auteur sait comment offrir un divertissement de qualité. Par la construction, tout d’abord. Il utilise les artifices des romans feuilletons, offrant un rebondissement à chaque fin de chapitre qui invite à embrayer immédiatement sur le suivant. Cela devient rapidement addictif. Mais ce procédé ne serait rien sans une écriture qui puisse donner une fluidité à l’ensemble. Le romancier déploie une écriture sensuelle et évocatrice. Il n’a pas à s’encombrer de longues descriptions, le choix précis des mots effectue le travail. On entre immédiatement dedans pour n’en ressortir qu’une fois l’histoire terminée.

Veiller sur elle fait partie de ces grandes fresques historico-romanesques dont il serait dommage de se priver. Si les contextes artistiques et historiques peuvent effrayer au premier abord, Jean-Baptiste Andrea donne toutes les clés pour profiter pleinement de son histoire. Par ailleurs, Il s’agit d’un roman complet où chacun trouvera de quoi le satisfaire : mystère, ambition, vengeance, amour, art, etc. Un délice pour prolonger un peu plus la période estivale !

Théâtre

Un service public en roue libre

Service Public (2023)

Une pièce de Hugo Ferraro

Mise en scène par Alex Weetz

Avec Hugo Ferraro (Cécile) et Jules Tarla (Oscar)

Cie La Roue Libre

Vendredi et samedi à 21h

Du 1er septembre au 25 novembre 2023

A La Folie Théâtre (75011 M° Saint Ambroise)

 

Quel plaisir de relancer la rubrique théâtrale de notre site avec un coup de cœur ! C’est toujours plus agréable de vous parler de spectacles que nous avons aimés, plutôt que d’en étriller. Et on peut dire que cette pièce est un beau présent inattendu. Même si, je dois bien l’avouer : écrire sur la pièce d’Hugo Ferraro n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire. On pourrait même dire qu’il m’a sacrément compliqué la tâche. Pourquoi ? Tout simplement parce que, pour vous garantir de profiter pleinement du spectacle, je dois m’astreindre à en parler le moins possible. Merci du cadeau !

Ah, si ! Ça, je peux vous le dire ! La pièce raconte la soirée d’anniversaire d’Oscar (Jules Tarla). Il est seul, et ne compte visiblement pas célébrer l’événement. C’était sans compter sur l’arrivée de Cécile (Hugo Ferraro), agent de service public, chargé de lui tenir compagnie et, si possible, de lui faire passer une bonne soirée.

S’emparant de l’archétype classique de la comédie (deux personnages qui n’auraient jamais dû se rencontrer), Hugo Ferraro le remanie à sa sauce. Immédiatement, Oscar et Cécile rappellent de nombreux duos de placides et de fantasques, l’Auguste et le clown blanc en tête. Mais il y ajoute de la profondeur, un sous-texte convoquant avec intelligence des thèmes aussi variés que : la solitude (choisie ou imposée), la peur de l’abandon, l’injonction perpétuelle au bonheur, la difficulté de la reconnexion au monde, etc. Mais il est aussi question de fraisier, de pistache et du bon choix de cadeau d’anniversaire.

Car c’est un point essentiel à souligner sur Service Public : la pièce aborde des sujets sérieux avec un sens de l’humour ravageur. Le texte d’Hugo Ferraro enrobe son point de départ délirant par un réel goût de l’absurde. Il le dose avec subtilité. Juste ce qu’il faut pour rendre cette rencontre entre Oscar et Cécile un peu plus folle. Le talent des comédiens fait le reste. Jules Tarla, Hugo Ferraro et leur metteur en scène Alex Weetz se sont rencontrés au Cours Florent. Ils avancent mains dans la main dans leur carrière et cela se sent. Chacun peut développer sa singularité tout en gardant une osmose globale. A aucun moment, l’un ne fait de l’ombre à l’autre. Ils font partie d’un tout. Jules Tarla campe un personnage digne de Droopy, jusque dans sa dégaine, pour le faire évoluer très subtilement au fur et à mesure de la pièce. Le jeu est fin et maitrisé. Hugo Ferraro, quant à lui, nous sert un personnage fantasque, tout dans la corporalité. Il incarne un Cécile « attachiant », envahissant et volcanique (à la limite de l’explosif).

Chaque élément de la mise en scène d’Alex Weetz concoure à instaurer une inquiétante étrangeté chez le spectateur, jusqu’au choix de la musique d’ouverture (magnifique composition de Raymond Lefèvre pour le film Jo). Sur ce dernier point, nous avons notre interprétation mais nous irions à l’encontre de notre engagement de ne rien dévoiler. Toujours est-il, on entre immédiatement en empathie avec Oscar. Comme lui, l’arrivée de Cécile est subie comme une invasion de l’espace. Comme lui, on se dit que quelque chose ne tourne pas rond jusque dans le costume de l’agent du service public. Les surprises s’enchainent alors à un rythme effréné.

Service Public est notre premier coup de cœur de la saison (et de la reprise). Drôle, imaginative, surprenante avec une thématique forte : cette pièce a tous les arguments pour vous faire passer un bon moment. Vous en ressortirez léger, mais aussi avec un fond de réflexion qui vous fera voir le monde un petit peu différemment. La Cie La Roue Libre, et son auteur Hugo Ferraro, sont des talents à suivre et nous ne manquerons pas de les soutenir.

 

Un article de Florian Vallaud