EDITO, NEWS

La Culture n’était pas à la fête

Alors que la France était en pleins préparatifs pour les célébrations traditionnelles de la fin décembre ; tandis que les magasins débordaient d’une foule peaufinant ses derniers cadeaux, le monde du cinéma n’était pas à la fête. Pourtant rompus à l’explosion de scandales, les professionnels du 7ème art allaient assister à la chute d’une de ses idoles. Il semblerait que, cette fois-ci, Cyrano n’ait pas eu du nez.

L’affaire démarre avec plusieurs dépôts de plaintes pour agressions sexuelles visant Gérard Depardieu. Le plus russe et nord-coréen de nos acteurs français s’inscrit en faux. Son entourage, à commencer par sa famille, le défend. Puis, vient l’émission Complément d’enquête. La bête noire de ceux qui ont des choses à se reprocher (en particulier de la galaxie Bolloré, ce qui revient au même) diffuse un documentaire autour de ces accusations. Le magazine appuie son propos d’images issues d’un documentaire abandonné réalisé par Yann Moix. On y voit un comédien ordurier, priapique et, le pire de tout, qui sexualise une fillette.

Tandis que Bolloréland (qui a des comptes personnels à régler avec l’émission de France 2) ouvre son micro à Yann Moix. Il affirme que les images lui ont été volées. La polémique enfle tant et si bien que, quelques jours plus tard, Depardieu voit apparaitre deux défenseurs de poids. Le 20 décembre, Emmanuel Macron, considérant depuis longtemps que l’huile sur le feu est un axe de gouvernement, vient en aide au comédien. Il déclare sur le plateau de C à vous qu’il « aime le comédien qui a servi les plus grands textes ». Pire, il se fait l’écho de théories complotistes, rapidement démenties, sur un montage fallacieux du documentaire. Le propos classique inhérent à la séparation entre l’homme et l’artiste : si c’est un génie, ce n’est pas un agresseur mais un être grivois, gaulois. Il n’y aura pas un mot du président envers les victimes. Cela prouve, une fois encore, que sa politique penche pour le patriarcat, le conservatisme et la culture du viol.

Mais revenons-en à la culture ! Comme une sorte de cadeau de noël malveillant, Le Figaro publie une tribune de soutien…à Gérard Depardieu. 50 signataires y réaffirment l’importance de ne pas « cancel » l’œuvre de l’acteur. Les noms de ces soutiens surprennent, indignent ou nous confortent dans l’idée qu’ils se moquent des victimes. Certaines personnes font même partie des soutiens ardents de Roman Polanski. Et si ces signataires avaient avant tous pensé à leur carrière ? Après tout, ils sont nombreux à avoir tourné avec l’ogre du cinéma français. Et s’ils avaient signés par peur de voir leurs films « censurés » ? Toujours est-il que leur nom est là, le mal est fait et rien ne pourra changer cela.

Le retour de flamme ne se fait pas attendre. Des contre-tribunes fleurissent, atomisant sans difficulté celle du Figaro par le nombre impressionnant de signataires. Par ailleurs, les accointances d’extrême droite du créateur de la tribune du Figaro fait peur à certains. Carole Bouquet, Nadine Trintignant, Pierre Richard quittent le navire, espérant probablement que leur participation sera pardonnée. Seul Jacques Weber exprime des regrets qui évoquent pour une fois les victimes : « Ma signature était un autre viol ».

Car, ce que prouve à nouveau toute cette affaire, c’est l’invisibilisation des victimes. Le monde du cinéma s’invective, se déchire, mais personne ne pense à celles qui ont parlé. Plutôt que de les écouter, de leur donner un mégaphone pour partager leur histoire, on parle à leur place. Elles deviennent les instruments d’une guerre intestine. Gérard Depardieu n’a pas besoin de tribune pour dérouler son discours. L’affaire PPDA nous l’a prouvé il y a peu : il a pour lui son statut de « géant du cinéma français » et la présomption d’innocence. Les victimes n’ont rien.  Elles se retrouvent même avec un chef d’Etat contre elles.

Les affaires se succèdent mais rien n’y fait : ce monde ne veut pas changer. C’est donc à nous de l’y contraindre.

Un article de Florian Vallaud