CINEMA, EN SALLE

Le Dupontel nouveau est arrivé !

Second Tour (2023)

Un film de et avec Albert Dupontel

Avec Cécile de France, Nicolas Marié

Sortie le 25/10/2023

Distribué par Pathé

ENFIN, le moment est arrivé ! Cela fait maintenant trois mois que nous l’attendons. Trois mois que nous trépignons d’impatience pour évoquer cette sortie incontournable de l’automne. Trois ans après son dernier film, Adieu les cons (2020), le Dupontel nouveau est arrivé ! Et c’est un très bon cru. Peut-être un peu trop délicat pour certains palais, mais qui se déguste avec plaisir.

Entre-deux tours de l’élection présidentielle. Pierre-Henry Mercier (Albert Dupontel) est le candidat favori, portant des valeurs traditionnalistes et volontiers réactionnaires. Mais ce discours interpelle la journaliste politique Mademoiselle Pove (Cécile de France), placardisée depuis peu au service football. Assistée de son cameraman, Gus (Nicolas Marié), elle décide de mener l’enquête pour comprendre qui se cache derrière ce candidat « idéal ». Mais son enquête ne fait pas plaisir à tout le monde.

Si Albert Dupontel se défend de faire un film engagé, lui préférant le terme de « fable », il est incontestable que ce long métrage aborde des questions essentielles de notre société.  Sur un fond d’urgence écologique, il compose un récit où les personnages sont confrontés à la difficulté d’être en adéquation avec leurs idées. Ils peuvent avoir les meilleures intentions du monde, le système va toujours trouver un moyen de les faire entrer dans le moule afin de se préserver.

Ce propos est cohérent avec l’évolution du cinéma d’Albert Dupontel. Au fur et à mesure que le monde devenait plus cruel, l’auteur est devenu doux-amer. La satire a laissé place à la fable. Les marginaux déglingués, ceux qui tuaient dans une joyeuse anarchie sont devenus rêveurs, utopistes. Ce sont des anomalies dans un monde où le feu de l’espoir s’éteint. Ils en portent les dernières braises. Ce n’est donc pas politique, mais un petit peu quand même.

La mise en scène adopte les oripeaux des thrillers politico-paranoïaques des années 1970. On pense aux Hommes du président (Alan J. Pakula, 1976) ou à I comme Icare (Henri Verneuil, 1979). Chaque plan est travaillé pour être beau, sublimé par une photographie toute en contraste. Les ombres des stores viennent se poser sur le visage des journalistes qui enquêtent, le monde politique est dans une pénombre constante. En totale cohérence avec un gros rebondissement, le réalisateur opère un changement de couleur et de mouvements de caméra à un moment clé du film. Car, qui dit enquête, dit révélations. Et Albert Dupontel n’en est pas avare, baladant le spectateur au gré des fausses pistes et de découvertes improbables, Le tout saupoudré de comédie pour rendre l’ensemble plus aérien.

Albert Dupontel incarne le rôle de Pierre-Henry Mercier avec le talent qu’on lui connait pour camper des hommes secrets et torturés. Mais il laisse la place de protagoniste principale à Cécile de France qui nous offre une journaliste aussi pugnace qu’Elise Lucet. Si son phrasé peut dérouter aux premiers abords, paraître faux, c’est qu’il est conçu comme une partition musicale. Ainsi, son jeu décalé permet de sortir le spectateur du réel, d’entrer dans la fable du réalisateur. Une fois cette barrière passée, elle attire le regard et rappelle qu’elle est une comédienne talentueuse.

Mais celui qui emporte tout sur son passage est un habitué des films de Dupontel. Depuis son premier film, l’acteur est là. Lors de l’avant-première lilloise, le réalisateur affirmait même qu’il était temps qu’on le reconnaisse en tant qu’immense comédien. Nicolas Marié transcende son rôle de cameraman fan de football. A chaque plan, chaque réplique, il offre un nouvel effet hilarant. Il porte en grande partie l’aspect comédie, et cela paraît tellement léger sur ses épaules. A chaque nouvelle histoire, Albert Dupontel semble à la fois lui écrire quelque chose à sa mesure et le pousser dans ses retranchements. Comme s’il voulait prouver par l’expérience que son ami à l’étoffe d’un premier rôle. Et on ne peut qu’être d’accord avec lui.

Second tour est une nouvelle réussite au palmarès d’Albert Dupontel. Un peu moins nihiliste qu’Adieu les cons, il n’en est pas moins profond. Hilarant, palpitant et sublime, il est tout ce qu’on aime chez ce réalisateur. Quant au choix entre le « film engagé » ou la « fable », rappelons que les contes et les fables ont tous une morale. Qu’est-ce qu’une morale sinon une vision claire de ce qui doit être ou ne pas être ? Qu’est-ce qu’une morale sinon un engagement politique ?

Un article de Florian Vallaud

CINEMA, EN SALLE

Dupontel au firmament

Au Revoir là-haut (2017)Résultat de recherche d'images pour "au revoir la haut"

Un film de Albert Dupontel

tiré du roman de Pierre Lemaître

Avec Nahuel Perez Biscayart, Albert Dupontel,

Laurent Lafitte, Niels Arestrup

Distribué par Gaumont

Sortie le 25 Octobre 2017

On connaissait Albert Dupontel le réalisateur sale gosse. De Bernie à Le Vilain, il apportait un vent d’insolence au cinéma français, ne rentrait dans aucune case. Il était punk à sa manière. Neuf mois fermes opérait déjà une légère modification dans son œuvre. L’acidité était toujours là mais elle semblait plus cadrée. C’est avec son nouveau film qu’il opère officiellement sa mue. Au Revoir là-haut est le film de l’évolution davantage que du changement. On ne va pas sombrer dans la facilité de parler de «film de la maturité », expression qui ne veut rien dire, mais il marque décidément un tournant dans le travail de Dupontel notamment par son statut d’adaptation.

Novembre 1919. Edouard Péricourt (Nahuel Perez Biscayart) sort mutilé de la grande guerre. Il a perdu sa mâchoire au combat et ne peut plus s’exprimer. Vivant reclus, car considéré comme mort, il doit sa survie à son camarade de combat Albert Maillard (Albert Dupontel). Les deux vont monter une arnaque aux monuments aux morts pour se renflouer dans cette période de grande confusion.

On comprend aisément ce qui a pu attirer le réalisateur dans ce grand roman. Ses thèmes habituels sont là : la veulerie des uns, l’opportunisme des autres, les petits qui se rebellent face aux puissants, etc. Péricourt et Maillard ne font que profiter de l’occasion que leur apporte le capharnaüm d’après-guerre pour récupérer ce qu’ils ont perdu après les combats. La vraie figure antagoniste du film est celle du Lieutenant Pradelle, un fieffé salopard, campé par un Laurent Lafitte bondissant. Cet homme était déjà un pourri pendant la guerre, il devient un profiteur après.

La réalisation de Dupontel et ses procédés de narration portent le film sur des territoires poétiques qu’on lui connaissait mais qu’il n’avait jamais abordé à ce point. Pour s’exprimer, Péricourt a deux biais : différents masques qui révèlent son état d’esprit et une petite fille qui fait office de porte voix. Par ceci, les dialogues du personnage sont réduits à leur strict nécessaire et ramènent parfois le film à une forme de cinéma muet qui dope sa poésie intrinsèque. Les masques sont autant d’œuvres d’art qu’on prend plaisir à admirer et qui parlent mieux que des mots.

Mais la vraie qualité du film réside dans sa distribution où aucun acteur ne démérite. Cependant, pour la seconde fois cette année, Nahuel Perez Biscayart se détache du lot. Après la gamme d’émotions qu’il véhiculait dans 120 battements par minutes, on se disait qu’il avait fait une démonstration quasiment exhaustive de ses capacités. C’est totalement faux. Privé de mots, il développe une autre palette de jeu dans ce film passant principalement par le regard. C’est fou, c’est beau, c’est bouleversant. L’attachement à son personnage est immédiat et il gagne une aura mystique digne du fantôme de l’opéra.

Au Revoir là-haut est un renouvellement de l’œuvre de Dupontel. Il nous montre tour à tour qu’il sait nous faire rire, rêver, pleurer, frémir dans un même film. Si il y a ici et là quelques longueurs, il aurait été compliqué de les supprimer sans mettre à mal la narration globale. C’est cependant un incontournable de cette fin d’année.

Un article de Florian Vallaud