Théâtre

Remettre le pommier au milieu de la Françafrique

Jacques et Chirac

Une pièce de Régis Vlachos

Mise en scène de Marc Pistolesi

Avec Charlotte Zotto, Régis Vlachos et Marc Pistolesi

Du mardi au dimanche

Jusqu’au 5 Novembre 2023

Au Théâtre de la Contrescarpe (Paris 5eme)

 

En ce mardi soir, l’étroite rue de la Contrescarpe voit naître une file d’attente de plus en plus grande. Les cheveux blancs y côtoient ceux qu’on appelle les jeunes actifs. Il a plu toute la journée et ce n’est pas l’ambiance idéale pour sortir. Et pourtant, ils se massent devant les portes du théâtre de la Contrescarpe pour assister à Jacques et Chirac, la nouvelle pièce de Régis Vlachos après le succès de Cabaret Louise.

Pour ceux de ma génération (de la deuxième partie des années 1980), Jacques Chirac est le président qu’on a connu le plus longtemps : 12 ans tout de même ! Et pourtant, c’est probablement celui que les français connaissent le moins bien. On garde en tête un président sympathique qui tâte le cul des vaches, taquine Michel Field lors de sa campagne de 1995, ne connait pas le nom des joueurs en 1998 et se fait repérer par Bernadette alors qu’il drague une charmante jeune femme. Bref, nous retenons des images de bêtisier. Et c’est en cela que le spectacle de Régis Vlachos est pertinent : il remet le pommier au milieu de la Françafrique.

Si vous vous attendez à un spectacle hagiographique à la gloire de l’héritier du gaullisme, ce spectacle n’est pas pour vous. En revanche, si vous chercher une analyse aussi fine que cinglante de l’histoire de Jacques Chirac, vous êtes au bon endroit. Ce n’est pas que le texte de Régis Vlachos soit militant, il est honnête. Il n’élude aucun sujet. Il n’évite aucun dossier brûlant. Sa plume est acerbe. Une des premières réactions entendues à la sortie du spectacle était précisément « ça tire à balles réelles ! ». Et c’est très juste. Que ce soient les nombreuses affaires financières, les ingérences françaises en Afrique ou la débâcle de 1997 : tout est abordé sous un prisme éclairant. Mais la pièce ne nous montre pas un personnage unidimensionnel. On y rencontre également l’autre Jacques : celui qui, s’il n’avait pas été entouré par Marcel Dassault, Marie-France Garaud et Pierre Juillet, serait devenu tout autre.

photo tous droits réservés. Toute diffusion, utilisation interdite sans autorisation de l’auteur. Copyright Fabienne Rappeneau

La mise en scène ingénieuse de Marc Pistolesi complète admirablement le texte. L’omniprésence d’écrans de télévision vient appuyer l’importance de ce média dans l’ascension du futur président. Ils permettent aussi de présenter des personnages méconnus du grand public. Il a également un travail important sur le rythme : les 1h20 passent à toute vitesse. Les changements de scènes sont fluides et ne perdent jamais l’attention du spectateur.

Mais attention, il nous faut préciser quelque chose d’important, d’essentiel même : Jacques et Chirac est très drôle ! Par son texte, bien sûr, qui est plus proche de la satire des Guignols de l’info que des chansonniers. Mais aussi par son trio de comédiens. Ils évitent l’écueil de l’imitation des figures connues pour les incarner. Evidemment, certains traits caractéristiques demeurent : le sourire de Chirac, la frénésie de Sarkozy, etc. Mais le reste est un travail de comédien pour aller chercher l’intériorité du personnage, mais aussi ce qui le rend ridicule parfois. Ils forcent un peu le trait pour aller chercher la comédie sans jamais tomber dans le grotesque. C’est un formidable numéro d’équilibriste. Régis Vlachos est un Chirac drôle, carnassier et touchant. En plus des autres personnages qu’elle incarne, Charlotte Zotto offre une Claude Chirac plus vraie que nature, qui voit le désastre arriver sans jamais pouvoir y faire quoi que ce soit. Quant à Marc Pistolesi, dont nous avons souvent vu les prestations sautillantes, il fascine par son dynamisme constant et sa capacité à enchainer les personnages à une vitesse folle. Mais, étrangement, c’est dans son rôle indéfini en tant que présentateur d’une « émission qui n’existe pas » qu’il fascine le plus. En duo avec Charlotte Zotto, chacun munis de perruques et de lunettes, ils ne peuvent miser que sur leur énergie et leur synergie pour offrir des scènes aussi hilarantes qu’angoissantes.

photo tous droits réservés. Toute diffusion, utilisation interdite sans autorisation de l’auteur. Copyright Fabienne Rappeneau

Bref, vous l’aurez compris, Jacques et Chirac fait parti des spectacles à ne pas rater en ce début de saison. Le public ne s’y trompe pas puisque le spectacle était complet un mardi soir. Hilarant, acide, pertinent et très documenté, ce spectacle vous propose un voyage inédit dans le sous-sol de la Vème république. Au risque d’en ressortir avec une nouvelle vision des choses et d’y rencontrer quelques cadavres dans le placard !

Un article de Florian Vallaud

Théâtre

A vif !

À Vif (2017)

Une pièce de Kery James

Mise en scène de Jean-Pierre Baro

avec Kery James et Yannick Landrein

Jusqu’au 1er Octobre 2017

Au Théâtre du Rond-Point (75)

En ce samedi soir de Septembre 2017, la salle Renaud-Barrault du Théâtre du Rond-Point bouillonne avant la représentation. L’ambiance est particulière, atypique. Quelque chose est sur le point de se passer. Où qu’on pose les yeux dans la salle, le tableau est peu commun. Parmi la foultitude des habitués des théâtres nationaux, abonnés ou non, se distinguent des casquettes Adidas et des vestes de jogging. D’autres ont fait l’effort de mettre une chemise noire avec une veste en cuir et une casquette assortie. Le tableau est inhabituel mais foncièrement plaisant. Pour ceux qui, comme nous, rêvent de la démocratisation culturelle, elle prend vie sous nos yeux. C’est aussi que ce qui se prépare sur scène est un combat qui s’adresse aux citoyens dans leur globalité.

Le ring ? La finale d’un concours d’éloquence d’une grande école d’avocat. Le sujet : « L’Etat est-il responsable de la situation des banlieues ? » Les combattants ? A ma gauche, Yann ( Yannick Landrein). Ce fils de bonne famille qui n’a rien connu d’autre que les beaux quartiers défendra l’affirmative. A ma droite, Soulleymane Traoré. Tout droit sorti des quartiers du Val de Marne, il soutiendra que les banlieues sont seules responsables d’elles-même. Tous les arguments y passent et les coups s’enchaînent jusqu’à ce qu’un seul reste. Lequel ?

Kery James est un nouvel arrivant dans le théâtre. Après une belle carrière dans le rap, il porte son geste poétique et engagé sur scène. Sous ses airs de cours philosophique et politique se cache un texte brillant qui ne laisse pas indifférent. Il varie les modes d’énonciation : passant du plaidoyer de l’avocat au dialogue jusqu’au rap et au slam. Il garde le spectateur toujours en alerte car il s’agit ici d’éveiller les consciences.

Son intelligence va jusqu’à inverser les préjugés du public. On pourrait s’attendre à ce que le jeune de banlieue défende la responsabilité de l’état et que son adversaire mette tout sur le dos des habitants de ces ghettos. En renversant les discours, Kery James montre que le monde peut être plus compliqué qu’une simple lutte des classes. Il en appelle alors à l’écoute des arguments de chacun. Il ne met pas l’accent sur l’un des deux plaidoyers : la réalité des faits est probablement au milieu. L’Etat est responsable des banlieues en étant à son origine mais refuse d’en porter le poids. De l’autre côté, tout mettre sur le dos de l’Etat c’est nier une liberté d’émancipation de ceux qui vivent dans ces quartiers. L’ascension sociale n’est pas facile mais elle est possible.

La mise en scène Jean-Pierre Baro ne brille pas par son originalité mais elle est au service du texte. Elle le laisse entendre sans le parasiter. Cependant, l’image immense de la Marianne républicaine qui recouvre le cadre de scène lors du discours final a un effet indéniable sur les spectateurs. Elle les galvanise tandis que le texte évoque une intégration totale des immigrés que la France a fait venir mais qu’elle renie. La république idéale c’est celle qui reconnaît tous ses enfants.

Un bon texte n’est rien sans de bons interprètes. Kery James et Yannick Landrein le servent à merveille. Leur connivence artistique manifeste sert à pousser plus loin l’opposition de leurs personnages. Ils leur donnent une profondeur et une épaisseur que le texte ne fait que survoler. On s’attache à chacun d’eux et ils emportent tour à tour l’adhésion du discours qu’ils défendent. Il n’est pas rare d’entendre dans la salle des acquiescements à certains arguments.

À Vif est un spectacle qui remet les pendules à l’heure dans une époque où les scissions entre les classes se font de plus en plus grande. Il appelle à vivre ensemble. Son public en est la plus grande démonstration : des gens qui n’auraient jamais pu se rencontrer se retrouvent à partager un moment d’émotion et de réflexion. Par la programmation de ce spectacle, le Théâtre du Rond-Point perpétue sa tradition de théâtre engagé et politique. Une claque essentielle !

Un article de Florian Vallaud