LIVRES

Des nouvelles D’Andromède

Mass Effect – Nouveau Monde.

Bande-dessinée

John Dombrow (Histoire),

Jeremy Barlow (Histoire et Script),

Gabriel Guzmán (Illustration)

Paru chez Mana Books

Sortie en Février 2018

L’Initiative Andromède, la titanesque opération entreprise par Gien Garson, éveille de nombreux soupçons. Sous ses dehors humanitaires consistant à envoyer, après un voyage de 6 siècles, une flotte de vaisseaux gigantesques remplis de colons jusqu’à la galaxie d’Andromède intrigue ou effraie, certains se demandent même si elle ne cache pas des desseins plus sombres. Teran Kandros, soldat turien, est de ceux-là. Sa mission : s’infiltrer au sein de l’opération et en découvrir les secrets inavouables.

Qui se rappelle de la sortie de Mass Effect – Andromeda, il y a presque un an maintenant ? Entre bugs multiples et défauts graphiques hilarants d’amateurisme, le jeu avait fait jasé plus d’un chroniqueur de jeu-vidéo et s’était révélée comme la plus calamiteuse de l’année. Pourtant, en une trilogie de jeux, Mass Effect avait su se faire une place privilégiée à la table des grandes œuvres de science-fiction. En perdant son scénariste originel Drew Karpyshyn peu avant le développement du troisième opus, on savait la série Mass Effect engagée sur une voie d’incertitude, et Mass Effect – Andromeda avait achevé de l’admettre, la plupart des dénouements qu’on en attendait ayant été reportés sur une suite… depuis mise en sommeil, tout comme les DLC prévus (lesquels devraient cependant sortir en romans). En attendant, les créateurs ne restent pas inactifs pour autant, et telle une émanation de leur univers d’une richesse rare, ils nous livrent un récit faisant lien entre la première trilogie et son héritier.

Avec John Dombrow, scénariste de la série, et Jeremy Barlow, qui avait officié sur le volet Homeworlds, on était en droit de s’attendre à un récit non seulement haletant mais aussi ambitieux, référencé et qui offrirait aux fans nombre de détails croustillants sur leur série préférée… et le moins que l’on puisse dire, c’est que la leçon d’Andromeda, pourtant rude, n’a pas été retenue. Haletant et rythmé, le récit l’est, on ne peut pas lui retirer, comme on fait difficilement plus haletant et facile à rythmer qu’une course contre la montre à travers toute une galaxie. Difficilement moins original aussi. C’est bien simple, le scénario de Nouveau monde ressemble aux plus ennuyeuses missions que les quatre opus vidéoludiques avaient pu nous offrir, à savoir se rendre à un point, passer à un autre, et un autre, etc… pour finir par une fusillade. Et ce ne sont pas les enjeux du récit qui apporteront le moindre suspense. Le seul intérêt du récit (à savoir comment l’Initiative était parvenue à obtenir des données en temps réel de la galaxie d’Andromède) n’est finalement relégué qu’au rang d’anecdote.

C’est d’autant plus dommage que le trait de Gabriel Guzmán est vif et apporte ce qu’il faut de vie pour se laisser emporter par la vigueur de l’ensemble. Il souligne à merveille les personnalités des acteurs et les gratifie d’une vraie présence. Assurément le bon point pour cette publication, même s’il est largement contrebalancé par des environnements des plus quelconques. Bien malin celui qui parviendrait à reconnaître les quartiers de la Citadelle ou les ruelles crasseuses d’Oméga s’il n’y avait les indications de lieu. Un résultat mi-figue, mi-raisin, hélas à l’image du tout.

Mass Effect – Nouveau monde ne fait jamais que poursuivre sur la voie de la survie, où elle se rappelle à notre bon souvenir, sans parvenir à se réinventer ou à simplement faire montre d’ambition. On espère juste que ce ne sera que temporaire…

Un article de Guillaume Boulanger-Pourceaux

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Le retour du grand-père prodigue

Rick and Morty – Tome 1. Résultat de recherche d'images pour "rick et morty bd"

Bande dessinée

Zac Gorman (Scénario),

CJ Cannon (Dessin),

Ryan Hill (Couleurs)

Sortie le 24 Janvier 2018

chez Hi Comics

Rick Sanchez, le scientifique déjanté, et Morty, son tremblotant petit-fils, sont de retour pour de nouvelles aventures inédites toujours plus délirantes à travers l’espace et le temps.

Est-il nécessaire de présenter Rick and Morty, la géniale série de Dan Harmon et Justin Roiland ? Savante chimie empruntant autant à Doctor Who sa science-fiction décalée et ses personnages fantasques qu’à South Park son langage des plus fleuris, cette série animée est instantanément devenue culte. Et en une poignée de saisons (la saison 4 est actuellement en production), elle est entrée au Panthéon de l’animation au même titre que Les Simpson l’ont fait en leur temps.

Mais réussit-elle pour autant son passage de l’animation au comic-books ? Force est de constater que oui, et le tour de force est d’autant plus impressionnant qu’il se fait sans le concours de ses créateurs originels. Le pari était pourtant loin d’être gagné d’avance, comme pour toute œuvre qu’on fait sortir de son média originel. Mais le trio Gorman, Cannon, Hill a relevé le défi, et on les en remercie, car ce premier tome de Rick and Morty est aussi fidèle à son modèle qu’on puisse l’être.

Tout, ou presque, répond présent en un joyeux festival, du phrasé si particulier, tout en rots et bégayant, de Rick, même s’il perd un peu de son charme à la lecture, aux graphismes dignes d’un story-board de la série. Les auteurs ne se gênent d’ailleurs pas pour faire intervenir des personnages secondaires tels que Condorman ou Terry le terrifiant sans pour autant tomber dans la facilité, en proposant des histoires aussi travaillées que celles de la série. La structure de cet album peut paraître particulière, avec quatre premiers chapitres imbriqués se lisant comme une seule et même histoire, un cinquième faisant office d’histoire subsidiaire, et un recueil final de quelques histoires courtes surtout centrées sur les personnages annexes (Summer, Beth et Jerry principalement). Et même si le dessin peine un peu à retranscrire le dynamisme de la série, l’ensemble n’en est pas moins agréable à lire, en étant aussi drôle et rocambolesque que son modèle.

Ce premier tome de Rick and Morty s’adresse évidemment en priorité aux fans de la série, ne serait-ce que pour les petits détails qui parleront à ceux qui sont déjà un peu aguerri à son univers. Néanmoins, les amateurs de science-fiction décalée qui ne la connaîtrait pas aurait tort de ne pas plonger dans le sillage de ce duo, direction la dimension C-137. Wubba Luba dub dub !

Un article de Guillaume Boulanger-Pourceaux

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Et je danse…

Entrez dans la danse… (2018)Résultat de recherche d'images pour "entrez dans la danse jean teulé"

Un roman de Jean Teulé

Paru le 1er Février 2018

Aux éditions Juillard

« Chante ! Chante ! Danse et mets tes baskets ! Chouette, c’est sympa, tu verras ! » disait William Shakespeare. A moins que ce ne soit Bébert des Forbans, je ne sais plus. Dans tous les cas, le nouveau livre de Jean Teulé nous montre que danser ce n’est pas toujours la fête. A l’instar de On achève bien les chevaux, cela peut même devenir une vraie torture.

Strasbourg, 1518 : alors que le peuple meurt de faim et en vient à manger ce qui lui passe sous la main, jusqu’à ses propres enfants, une étrange épidémie de danse contamine peu à peu la population. Les autorités de la ville et religieuses se trouvent à devoir gérer la crise en tachant d’en trouver l’origine.

Dans la lignée de ses livres précédents, Jean Teulé revisite un fait historique réel. Il se pose pas comme un historien mais comme un passionné d’histoire. Il transmet avec truculence sa passion de découvrir et d’en chercher les clés de compréhension. Ici, il créé une association d’idée entre le début de la crise dansante et une situation émotionnellement éprouvante pour les personnages. Ils sont les victimes de leur époque. C’est une piste de réflexion intéressante pour un événement dont nous n’aurons jamais l’explication réelle.

Les romans de Jean Teulé, c’est aussi une langue. Comme François Cavanna ou Frédéric Dard en leur temps, il mêle des constructions de phrases très littéraires à des mots volontiers familiers. Chaque phrase est une surprise. La lecture est alors très ludique et ne devient jamais monotone. Il dresse en quelques mots un portrait évocateur d’une époque de misère où règnent la famine et le cannibalisme sans tomber dans le glauque. La brièveté du roman lui fait gagner en intensité .

Encore une fois, Jean Teulé nous offre un livre délicieux qui nous transporte en quelques mots dans un événement passionnant. Il gère avec beaucoup de talent un rythme palpitant. Sa description des crises qui envahissent les personnages est la fois gracieuse, poétique et dangereuse. Il a la force des grands page-turner et il serait dommage de le lâcher avant la fin tant l’intensité va crescendo. Alors, Entrez dans la danse !

Un article de Florian Vallaud

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De la critique de la critique

BettieBook (2018)Résultat de recherche d'images pour "bettiebook"

Un roman de Frédéric Ciriez

Paru le 04 Janvier 2018

Aux éditions Verticales

De tout temps, la critique a été opposée aux créateurs comme une force antagoniste destinée à détruire leur travail. Le rôle de la critique est avant tout d’analyser, décortiquer et d’offrir au public des pistes de lecture pour les œuvres culturelles. La frontière entre critique et billet d’opinion est trop souvent franchie sans même s’en rendre compte. Elle a définitivement basculé avec l’émergence d’internet. Les journalistes n’étaient plus les seuls à pouvoir faire entendre leur voix. On a franchi un nouveau palier ces derniers années avec la prolifération des Youtubeurs, qui ont permis d’atteindre un public réticent à la lecture d’article. Si on met davantage en avant ceux dont le sujet est le cinéma (comme Durandal ou InThePanda), le phénomène des booktubeurs et booktubeuses est loin d’être négligeable. À telle enseigne qu’il peut sembler être une menace pour les journalistes traditionnels. Ce thème constitue le cœur du 4ème roman de Frédéric Ciriez publié aux éditions Verticales.

Stéphane Sorge est un critique renommé. Dans les grands journaux comme à la télévision, il assène ses avis avec un ton direct et une plume acérée qui lui ont valu le surnom de « SS ». Son journal le missionne alors pour écrire un article sur le phénomène croissant des booktubeuses, nouvelles influenceuses littéraires. C’est avec un certain mépris qu’il va rencontrer BettieBook. Entre eux va naître une relation passionnelle faite d’attirance et de répulsion qui les menera jusqu’à la destruction.

Frédéric Ciriez nous offre un roman à la construction habile et qui évite la monotonie. Il varie les outils de narration : on passe d’un narrateur omniscient à un histoire à la première personne en passant par des articles de journaux, ou encore des commentaires Youtube. Il constitue ainsi des effets de montages dignes d’un scénario de film. L’écriture est simple mais jamais simpliste et reste infiniment littéraire.

On pourrait en revanche reprocher à l’auteur le traitement de son thème. Il n’est pas clair dans son propos et semble vouloir montrer que les deux mondes qui s’affrontent, « l’ancien » et le « nouveau », ne valent pas mieux l’un que l’autre. Stéphane Sorge critique des livres sans parfois même les lire, BettieBook ne s’intéresse qu’à de la « sous-littérature » qu’elle critique comme on le ferait au café du coin. Les deux personnages sont aussi antipathiques l’un que l’autre et il est dès lors assez compliqué de s’attacher au drame qui se noue. Il ne développe jamais son thème de départ et se contente d’une exploration limitée de la critique.

Bettiebook est un roman intéressant à bien des égards et à l’écriture agréable et stylisée. Cependant, il ne va pas assez loin dans son propos et reste somme toute assez manichéen.

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Une suite incandescente

Couleurs de l’incendie (2018)Résultat de recherche d'images pour "couleurs de l'incendie"

Un roman de Pierre Lemaître

Publié le 4 Janvier 2018

Chez Albin Michel

Déjà un beau succès littéraire couronné par le prix Goncourt, Au Revoir là-haut de Pierre Lemaître trouve une seconde vie après son adaptation cinématographique par Albert Dupontel. Elle remémore un grand roman à ceux qui l’ont lu et fait découvrir son univers aux autres. C’était le timing idéal pour sortir un nouveau tome de ce qui s’annonce comme une trilogie. En littérature comme au cinéma, c’est compliqué d’écrire la suite d’un gros succès et Pierre Lemaître ne démérite pas.

L’histoire démarre immédiatement à la fin du tome précédent avec l’enterrement de Marcel Péricourt, le père banquier du protagoniste estropié au centre de Au Revoir là-haut. Le Tout-Paris est là pour assister aux obsèques menées de main de maître par sa fille, Madeleine. C’est le moment que choisit son jeune fils pour se jeter d’une fenêtre du deuxième étage et finir handicapé. Madeleine va devoir découvrir la vérité, et affronter des « adversaires » tapis dans l’ombre qui cherchent sa perte.

Ce qui faisait le sel du roman précédent se retrouve complètement dans ce nouveau tome. Pierre Lemaître nous narre une « entre-deux guerre » où des êtres minables, motivés par leurs petits intérêts, n’hésitent pas à écraser les autres pour se hisser dans la société. Les coups bas et autres retournements de situation rythment un récit machiavéliquement bien huilé. Les années passant, une menace pointe le bout de son nez du côté de l’Allemagne et apporte un éclairage plus pesant au fil des pages.

Mais la langue de Pierre Lemaître est volontiers joueuse. L’auteur aime les ironies dramatiques et est capable des répliques les plus cinglantes dans les moments tragiques. En ceci, les premières pages du livre narrant l’enterrement de Marcel Péricourt sont un petit bijou d’humour noir. Il pointe du doigt cette époque où les apparences et l’hypocrisie priment sur l’honnêteté et la vérité.

Couleurs de l’incendie est un livre passionnant dont il est bien difficile de se détacher. Avec son talent pour décrire une époque et ceux qui y vivent, Pierre Lemaître signe un deuxième volet brillant d’une saga familial qui pourrait bien être aussi marquante que les Malaussène de Daniel Pennac. On attend avec impatience le prochain opus pour découvrir comment les Péricourt vont bien pouvoir vivre l’aube de la seconde guerre mondiale.

Un article de Florian Vallaud

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Shutter

Shutter – Tome 1 : Errance. Résultat de recherche d'images pour "shutter tome 1 glenat"

Bande dessinée

Joe Keatinge (Scénario), Leila Del Duca (Dessin),

Owen Gieni (Couleur)

Sortie en octobre 2017

chez Glénat

Descendante d’une prestigieuse famille d’explorateurs, Kate Kristopher s’est rangée des aventures depuis la disparition de son père voilà 10 ans. Ayant perdu l’envie de partir à l’aventure, elle mène aujourd’hui une vie tranquille en vendant ses récits de globe-trotteuse. Alors qu’elle se résigne à l’ennui, un secret de famille resurgit et son passé pourrait bien la rattraper.

Il y a certaines règles qui se vérifient dans l’écriture, que ce soit d’un film, d’un roman ou d’une bande-dessinée (ou de quoi que ce soit d’autre). L’une d’entre elles, c’est certainement de se méfier de la surenchère. On l’a encore vu récemment avec la saga Resident Evil par Paul W. Anderson. À trop vouloir en rajouter, on s’expose à l’incohérence et au ridicule. Il arrive cependant que certains auteurs parviennent à éviter ces écueils. L’un des spécialistes du genre est sans doute Ken Akamatsu qui, avec des œuvres comme Love Hina ou plus encore avec Négima, a démontré qu’il était possible de mélanger magie, technologie et SF (ainsi qu’un nombre indéterminé d’autres choses) en un fascinant tohu-bohu cohérent. Avec Shutter, Joe Keatinge nous dépeint une société plurielle où cohabitent humains, robots, animaux anthropomorphes et quantité d’autres créatures dont on peine à deviner l’origine, le tout sur fond d’exploration spatiale et de ruines maudites. Certes, à la lumière d’un premier tome, il est difficile de juger de la cohérence du tout mais on ne pourra que tomber sous le charme de cette utopie, d’autant que les traits de Leila Del Duca et les couleurs de Owen Gieni la servent avec vigueur et personnalité.

Mais que seraient toutes ces qualités sans un scénario digne de ce nom ? Là encore, à la lumière d’un premier tome, difficile de juger sur la longueur. Cependant, partant d’une histoire apparemment banale (la révélation soudaine d’un secret de famille), Joe Keatinge nous entraîne dans une intrigue à tiroirs pleine de personnages nuancés, de relations tendres et houleuses, où rien ni personne n’est tout blanc ou tout noir. Une intrigue comme on les aime en somme, mariant action, émotion et humour. L’accumulation qui pourrait paraître pathologique n’est finalement qu’une manière de lancer des pistes, et à aucun moment le lecteur ne se sent perdu dans ce monde étrange et pourtant familier où s’emmêlent des codes que nous connaissons tous. Mafia, gangsters et informateurs croisent sans s’entrechoquer des majordomes au passé trouble et autres nounous disposant de bien d’autres qualifications qu’un CAP Petite enfance. Tous ces détails concourent à nous rassurer quant à l’avenir de cette nouvelle publication qui saura sans doute nous surprendre au delà de son premier tome.

Haletant et pantois, c’est ainsi qu’on accueille le cliffhanger achevant la première partie des aventures de Kate Kristopher. Et c’est avec une impatience coupable qu’on attend la suite. Quand Boulet déclarait « Entre intimisme et dinosaures, il faut choisir », avec Shutter, Keatinge et Del Duca ont fait un choix : « Mettons les deux ». Et pour le moment, c’est sacré bon choix.

Un article de GBP

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Le genre et l’humour

Ranma ½ (Tome 1, réédition),

Bande-dessinée

Rumiko Takahashi (Dessin et Scénario)

Édité par Glénat

Sortie le 18 octobre 2017

Le dojo Tendo est en effervescence. Après plusieurs années d’absence, Genma Saotomé revient au Japon, un événement que le senseï de Tendo attendait depuis longtemps afin d’organiser une mariage entre l’une de ses trois filles et le fils de son ami, Ranma. Quelle surprise quand ce matin débarque sur le seuil de son dojo un panda grognon et une jeune fille qui s’avèrent être Genma et Ranma, tous deux maudits pour s’être aventurés sur un terrain d’entraînement chinois abandonné depuis des siècles.

Doit-on encore présenter Ranma ½ ? Si le manga a pu vous échapper, la série animée aura sans doute laissé quelques souvenirs aux trentenaires. Arrivée avec l’importation massive d’animés japonais entre les années 70 et 90, en compagnie d’autres tels que Juliette, je t’aime (Maison Ikkoku) et autre Collège fou fou fou (Highschool ! Kimengumi), la série n’aura peut-être pas eu le rayonnement d’un Dragon Ball, mais elle n’en reste pas moins l’une des plus populaires de cette époque. Même si, comme tous les animés de l’époque, la série aura été amputée de nombreuses scènes et dotée d’un doublage en roue libre (même si on est loin du massacre Ken le survivant), l’humour inhérent à l’œuvre se prêtait assez bien à l’exercice, et on garde d’elle un souvenir amusé.

Les 38 volumes du manga avaient déjà été édités par Glénat en 1994, « à la française » pourrait-on dire, c’est à dire avec un sens de lecture occidentalisé, plusieurs éléments censurés et une charte graphique discutable. Il aura fallu attendre 2017 pour que Glénat se décide à rééditer cette œuvre devenue culte et aux tonalités étonnamment actuelles. Certes, nous sommes loin d’avoir affaire à une quête d’identité sexuelle à proprement parler. Plutôt celui de la difficulté d’être une femme dans un Japon sclérosé par les stéréotypes. Car si Ranma change de sexe, son caractère, lui, n’évolue pas, avec tout ce que ça implique en terme de langage et de pudeur par exemple. Dans le même ordre d’idée, la représentation de la jeune femme japonaise se retrouve à travers les trois filles Tendo, Kasumi, l’aînée ménagère, Nabiki, la benjamine séductrice, et Akané, la combattante apparemment aigrie qui cache nécessairement son côté fleur bleue. Des caractères avec lesquels l’auteure joue, surtout quand elle leur adjoint des personnages totalement barrés. Si de l’aveu même de Rumiko Takahashi, amener l’histoire sur le terrain des arts martiaux est arrivé un peu par hasard (le changement de sexe, et autres métamorphoses sont clairement le cœur du récit), il n’en réserve pas moins quelques duels savoureux où l’humour n’est jamais loin. Il est d’autant plus présent que, quand la plupart des mangas se contentent de triangles amoureux standards, l’auteure préfère prendre le parti de véritables polygones amoureux, déjà annonciateurs de situations rocambolesques, auxquelles s’ajoutent les multiples métamorphoses et les caractères ridicules de ses protagonistes.

Quel plaisir de retrouver ce détonnant cocktail d’humour et d’arts martiaux qu’est Ranma ½, d’autant que sa dernière apparition ne le mettait pas vraiment en valeur. Les fans de la première heure loueront cette édition léchée enfin digne de lui, agrémentée de quelques bonus sympathiques. Quant aux autres, ils découvriront un récit à l’humour ravageur. Un vrai concentré d’hilarité à redécouvrir.

Un article de GBP

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Who you gonna call ?

Un fantôme américain (2017)

Un roman de Hannah Nordhaus

Sortie le 7 Septembre 2017

Aux éditions Plein Jour

À Santa Fe, au Nouveau Mexique, un esprit a acquis une jolie petite réputation. Julia Staab, décédée en 1896 continuerait de hanter les couloirs de son ancienne maison devenue maintenant un hôtel. La mine triste, elle apparaîtrait à certains privilégiés et son histoire varie au gré des légendes. Femme battue pour certains, suicidée après le décès de son bébé pour d’autres. Le mystère reste entier et fascine les chasseurs de fantômes amateur. Hannah Nordhaus est son arrière-arrière-petite-fille, et elle a décidé d’éclaircir ce mystère. Elle part à la rencontre du destin de cette jeune juive-allemande émigrée aux Etats-Unis en pleine période du Far West.

Sous ses airs d’histoire de fantômes victoriens, ce roman est un petit trésor qui révèle ses richesses dès lors qu’on prend le temps de le regarder. L’argument fantastique n’est que le vecteur d’une histoire bien plus grande qui vous emmène de Prusse au Nouveau Mexique sauvage et ses grandes plaines dangereuses, en passant par les camps de la mort près de Prague. L’auteure nous fait voyager au gré de ses recherches familiales et nous offre un parcours de vie emballant et romanesque. Julia Staab n’a pas eu de chance dans la vie, mais son malheur et ses ramifications sont autant « d’aventures » qui rythment merveilleusement le récit. On apprend à la connaître et c’est par elle qu’on découvre une époque et un contexte particulier. On retrouve la saveur particulière et l’évasion que peuvent nous provoquer les westerns.

En ceci, l’écriture de Hannah Nordhaus est d’une force d’évocation rare. Elle est à la fois fluide et élégante. Elle passe du compte-rendu de ses recherches à la forme romanesque sans qu’on le sente et donne une homogénéité à l’ensemble. C’est envoûtant, parfois drôle et souvent émouvant. Elle parvient à contenir une généalogie entière en l’espace de 350 pages. Et même si il s’agit de sa famille, elle ne cède jamais à l’égocentrisme. Ses personnages sont le cœur de ce qu’elle écrit. Elle est juste là pour jouer le passeur de leur histoire.

Un fantôme américain est une jolie pépite passée malheureusement un petit peu sous les radars. Les rouleaux compresseurs de la rentrée littéraire l’ont un petit peu écrasé. C’est donc le moment idéal pour le découvrir. Alors que la saison est au froid et à la morosité, il est bon de découvrir cette fin de XIXème siècle dans le désert brûlant du Nouveau Mexique. On vous le conseille à 200%.

Un article de Florian Vallaud

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Le Ciel leur est (encore) tombé sur la tête

Astérix et la transitalique (2017)

une bd de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad

Paru le 19 Octobre 2017

Aux éditions Albert René

La période est à la célébration des aventures de notre gaulois préféré. Alors que nous honorons les 40 ans de la mort de son génial créateur, René Goscinny, par de nombreux biais (documentaires, livres, expo), c’est le timing qu’ont choisi les éditions Albert René pour sortir une nouvelle aventure. Depuis la retraite méritée d’Albert Uderzo, ce sont Jean-Yves Ferri (scénario) et Didier Conrad (dessin) qui ont repris les rênes de la licence Astérix. Si leurs deux premiers albums étaient sympathiques bien qu’un peu légers, il fallait transformer l’essai pour celui-ci. Et c’est peu dire qu’on en est loin.

Afin de prouver à César que l’état des routes romaines n’est pas aussi calamiteux qu’il le croit, un sénateur organise une grande course de chars à travers l’Italie ouverte à tous les peuples de l’empire. La seule contrainte est que le gagnant soit le romain Coronavirus. C’était sans compter sur la participation des deux héros gaulois poussés par la prédiction faite à Obélix que son avenir est dans les courses de chars.

Le résumé peut faire penser au premier abord à une version italienne du Tour de Gaule. Dans la mesure où les différentes contrées de ce pays n’avaient jamais été explorées dans les albums, cela semblait être une bonne idée. Mais les auteurs passent à côté de leur concept à la vitesse d’un char lancé à toute allure. L’histoire n’est alors qu’une longue course effrénée évoquant davantage Les Fous du volant que l’univers où elle prend place. Les personnages ne prennent pas de pause et c’est éreintant pour le lecteur qui n’a pas de réels rebondissements auxquels se raccrocher. D’autre part, l’antagoniste de l’histoire n’a aucune épaisseur à la différence de l’astuce utilisée pour marquer son statut de méchant : son nom. Coronavirus et son coéquipier Bacillius évoquent des maladies et c’est tout. Le lecteur est pris pour un enfant en bas age.

Les lacunes du scénario auraient pu être compensées par des gags et des jeux de mots de haute volée, mais il n’en est rien. La finesse qui faisait le sel des albums précédents a totalement disparu au profit de blagues dignes de Carambar et de gags visuels tellement prévisibles qu’ils en perdent toute drôlerie. Le trait de Didier Conrad respecte toujours le style d’Uderzo mais donne l’impression d’avoir été fait à la va-vite. On pourrait comprendre que certains détails des dessins disparaissent au profit du mouvement quand il s’agit de croquer la course, mais il ne s’arrête pas là. César a un visage qui diffère au fur et à mesure des cases si bien que, sans sa tenue caractéristique, il serait difficile de le reconnaître. Cette impression de dessins bâclés se prolonge jusqu’à Astérix et Obélix qui font parfois penser à des fan art d’enfants de 10 ans. C’est plutôt gênant quand on est sensé donner une seconde vie à une licence.

Disons le simplement, Astérix et la transitalique n’est pas un bon album. Il est raté à tous les niveaux et sa lecture en devient pénible à l’instar des plus mauvais scénarisés par Uderzo en son temps. Il n’y a qu’un concept, mais pas d’histoire. Les gags sont faciles et mal amenés et les dessins sont bâclés. On a l’impression d’un album conçu dans la précipitation sans réelle préparation préalable. Espérons que ce ne sera qu’un cas isolé car on connaît les talents de Ferri et Conrad.

Un article de Florian Vallaud

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De la bipolarité à l’humanité

Encore Vivant (2017)

Un livre de Pierre Souchon

Paru le 16 Août 2017

aux éditions du Rouergue

Être bipolaire, c’est une maladie. Une maladie d’autant plus grave qu’elle n’est pas visible pour les autres. Elle est même à peine compréhensible par l’entourage de ceux qui la vivent au quotidien. C’est une vicieuse compagne qui isole les personnes sur qui elle a mis le grappin. Elle ne se guérit pas, elle se contrôle. Par des solutions médicamenteuses, le plus souvent, qui parviennent au mieux à la calmer. Mais elle revient. Le malade passe d’états d’euphorie à des états d’intense dépression. Chacun ne la vit pas de la même manière, elle est protéiforme. Capter l’essence de la bipolarité pour la faire comprendre au plus grand nombre est alors un challenge alloué aux écrivains. Seule la littérature semble pouvoir trouver les images pour évoquer ce mal. Pierre Souchon, journaliste au monde et malade depuis l’âge de seize ans, fait paraître son premier roman autobiographique sur son internement en Hôpital Psychiatrique suite à un épisode maniaco-dépressif intense.

Ne nous y trompons pas, l’auteur n’est jamais là où nous l’attendons. Pour ceux qui pensent trouver une version moderne de Vol au dessus d’un nid de coucou, passez votre chemin ! Les conditions de vie actuelle dans les hôpitaux psychiatriques sont évoquées mais ne constituent pas le cœur du roman. Si vous avez peur de tomber sur une histoire qui abuse du pathos afin de faire pleurer dans les chaumières, ce n’est pas cela non plus. L’humour est présent à chaque page et la maladie n’est pas dramatisée.

Ce que raconte Pierre Souchon de sa maladie est de l’ordre du sensitif. Il nous fait vivre ses crises comme si ce qu’il voyait ou ressentait était la réalité. Il trouve des images poétiques pour raconter le gouffre sans fond dans lequel semble tomber le malade à chaque crise. Il ne nous raconte pas la bipolarité, il nous la fait ressentir. Son portrait est juste et clair.

Comme une sorte de pied de nez au nom de son affection, le livre traite deux pôles : la maladie et la lutte des classes. L’un semble fonctionner avec l’autre de façon très logique. De fait, Pierre Souchon est interné pour avoir été retrouvé sur la statue de Jaurès. Le symbole est fort. À travers sa recherche intérieure pour aller mieux, il va nous dépeindre l’opposition entre le monde privilégié auquel il a accédé et le monde paysan d’où il vient. Cette double identité traverse le livre comme elle traverse sa vie et ses crises maniaco-dépressives. On passe du passé au présent sans rupture et avec un vrai plaisir de lecteur tant son écriture est à la fois simple et très travaillée.

Encore Vivant est un livre sublime, très juste et qui dépeint son auteur comme quelqu’un qui se bat tous les jours pour mettre son instinct de vie au premier plan. On en ressort ragaillardi et avec l’envie d’être positif. Il est à conseiller à tous pour que les malades soient enfin compris et entourés, qu’ils n’aient plus l’impression qu’on leur reproche de toujours aller mal.

UN ARTICLE DE FLORIAN VALLAUD