Les Proies (2017)
Un film de Sofia Coppola
Avec Colin Farrell, Nicole Kidman, Kirsten Dunst
Distribué par Universal Pictures
Colin Farrell nous avait prévenus dans une interview donnée récemment à Allociné : « Parfois certains remakes sont plus originaux que certains films originaux ». Il ne nous a pas menti. Le dernier né de Sofia Coppola est un exemple dans son genre. Reste à déterminer de quel genre il s’agit. Adopter un point de vue critique sur l’œuvre de la fille du génial Francis Ford est presque aussi difficile que sur Xavier Dolan ou Game of Thrones. Leurs adorateurs les vénèrent et chaque film est accueilli comme le « nouveau nouveau testament ». Les avis contradictoires se prennent automatiquement des volées d’insultes et sont qualifiés « d’abrutis qui n’y connaissent rien ». Nous allons donc nous atteler à faire un article le plus positif possible.
En s’attaquant à l’adaptation du roman de Thomas P. Cullinan et du remake de Don Siegel (dont nous vous parlions il y a quelques jours https://culturotopia.wordpress.com/2017/08/22/588/), ses objectifs étaient multiples : adopter le point de vue des personnages féminins et, comme toujours chez elle, redonner de la modernité au sujet. Un petit rappel de l’histoire est nécessaire pour ceux qui auraient la flemme de lire l’article sur le film original :
Trouvé agonisant dans la forêt par l’une des pensionnaires de l’école de Mrs Farnsworth, le caporal nordiste John McBurney est « emprisonné » au milieu de ces jeunes filles le temps de sa convalescence. Il va, malgré lui, révéler les pulsions et secrets enfouis au fond de chacune, au péril de sa vie.
Si le film de Don Siegel adoptait un point de vue alternant entre l’omniscience et celui de John McBurney, Sofia Coppola prend le parti de ne proposer que celui des « filles » de la maison. Elle perpétue par là le cinéma féminin qui est sa marque de fabrique. L’esthétique du film reste dans la lignée de ce qu’elle fait d’habitude, jusqu’au titre adoptant une calligraphie rose bonbon qui frôle le hors-sujet. Mais peut-être veut-elle juste créer un contraste entre l’apparente superficialité de l’univers qu’elle présente et la rudesse de ce qu’il y a sous le vernis. Les images bucoliques du jardin entouré de bruits guerrier laissaient augurer du meilleur. C’était sans compter sur les choix audacieux de la réalisatrice d’un point de vue scénaristique.
Alors que l’histoire de départ est basée sur des non-dits et les tensions qu’ils provoquent, Sofia Coppola choisit de les ôter méticuleusement. Elle n’en oublie aucun, ce qui rend le tout plus aseptisé et puritain qu’un film Disney Channel. Disparu l’inceste entre Mrs Farnsworth et son frère qui expliquait la relation qu’elle établit avec McBurney. Disparu le personnage de la servante noire qui, outre le fait qu’elle ait été violée par le frère Farnsworth, questionnait son statut d’esclave.
Au delà du fait qu’elle met de côté les événements qui créaient le suspense et suscitaient l’attention du spectateur, c’est avec brio qu’elle rate ce qu’elle présente dans ses interviews comme son sujet principal : la frustration sexuelle qui règne dans cette maison. La représentation qu’elle en fait se cantonne à des jeunes filles qui gloussent autour d’une table. La superficialité des personnages n’est pas dommageable qu’au film, mais aussi à l’image qu’elle donne d’une vision féminine des choses. Non seulement les femmes sont présentées comme vide de personnalité, mais le caporal McBurney n’est qu’une pauvre victime qu’on finit par plaindre. Il n’y a plus de changement de rapport de force.
Les Proies n’est pas un mauvais film dans le sens où il est bien fait. Sofia Coppola montre qu’elle serait parfaite pour filmer du Barbara Cartland. D’une histoire sensuelle et perverse, elle fait ce qui apparaît comme un téléfilm d’après-midi de M6. C’est très sympa quoique totalement hors-sujet et inutile. Elle trouve surtout le moyen de faire le contraire de ce qu’elle veut. En ceci, elle force l’admiration et établit un nouveau genre cinématographique qui irait à l’encontre de son créateur. Impressionnant !
Un article de Florian Vallaud